Le Bordelais Charles Cazalet, dont nous avons évoqué le rôle au sein des institutions de gymnastique dans notre précédent article, a aussi marqué la fin du XIXe et le début du XXe siècle par ses actions sociales.
En 1891, Charles Cazalet et son épouse – les noces ont été célébrées deux ans plus tôt – fondent la crèche de La Bastide. La même année, au cœur d’un hiver particulièrement froid, il organise un chauffoir public pour les déshérités. Ses actions sociales vont s’étendre, l’année suivante, à l’ensemble de Bordeaux puisque Cazalet est nommé adjoint au maire. Il fait de « l’Oeuvre bordelaise des bains-douches à bon marché » sa première mission. Voilà ce qu’il écrit à ce sujet dans les colonnes du journal Le Matin, en décembre 1904 :
« C’est un axiome (ndlr : une évidence) aujourd’hui reconnu de tous que l’homme, même le moins favorisé de la fortune, doit veiller à la propreté de son corps. Encore faut-il pour cela que ce soit facile, rapide et surtout bon marché. »
Il voit dans la démocratisation des bains-douches un geste charitable et nécessaire envers les plus pauvres, mais il tient également à souligner que les plus riches doivent y voir un intérêt. Un accès à l’hygiène pour tous contribuerait à une élévation globale de la société : « Le peuple le plus civilisé est celui qui consomme le plus de savon », écrit-il, mais aussi « la propreté physique, qui amène à la propreté morale ».
Convaincre les riches d’aider les pauvres
On retrouve cette idée qu’aider les pauvres les inciterait à adopter une meilleure conduite dans d’autres projets de Charles Cazalet. Ainsi, dans un écrit de 1893, il justifie son projet d’habitations à bon marché en ces mots : « Si le travailleur pouvait avoir sa maison séparée (…) où, maître chez lui, il jouirait de sa propriété, entouré de sa femme et de ses enfants, ne serait-ce pas l’idéal social ? Alors, plus de dépenses inutiles et nuisibles au cabaret (…) une meilleure éducation des enfants (…), plus d’idées subversives et révolutionnaires. » Dans les familles aisées, l’idée circulait à l’époque que les hommes du peuple dépensaient l’entièreté de leur maigre paie dans les bistrots et cabarets.
Le but de Charles Cazalet est de convaincre les plus riches de financer ces projets sociaux. Pour les encourager à investir dans les habitations à bon marché, il explique que « ce n’est pas à une œuvre de charité, ni non plus à une spéculation que nous avons l’honneur, Messieurs, de vous convier, mais à une entreprise d’amélioration sociale qui sera en même temps un placement sûr et rémunérateur ».
La bataille de fleurs
Il y a un exemple qui illustre parfaitement ce difficile travail de négociation avec les bourgeois. En 1892, Charles Cazalet se met en tête d’organiser une bataille de fleurs. L’événement a déjà eu lieu dans plusieurs grandes villes, à l’instar de Paris et Marseille. Le maire niçois de l’époque le décrit comme « un double défilé de voitures allant en sens inverse sur une promenade, en se lançant réciproquement des bouquets de fleurs ». Cazalet réussit à convaincre l’Association des officiers de la réserve et de l’armée territoriale, dont il est membre, d’organiser une bataille similaire dans la capitale girondine.
Il s’agit d’offrir aux plus pauvres un divertissement, mais pour cela il faut obtenir un accord indispensable : « Tout le problème consiste à déterminer les riches, tous ceux qui possèdent une voiture, à figurer dans le cortège », écrit le Bordelais dans un court ouvrage rassemblant ses réflexions sur le sujet. Il sollicite alors les « huit cercles », sortes de clubs regroupant les Bordelais nobles et aisés. Le syndicat des huit cercles refuse, argumentant que l’événement entraînerait trop de frais et que les femmes honnêtes craignent d’y rencontrer « des dames irrégulières ».
Si la bataille de fleurs n’a pas vu le jour, les habitations à bon marché ont, elles, connu un développement important au début des années 1900. Les bains-douches se sont installés à Paris, avant de se généraliser dans de nombreuses villes. De son côté, la fin de ses fonctions à la mairie n’a pas empêché Charles Cazalet de continuer à mener ses actions sociales, en créant en 1905 l’œuvre bordelaise des jardins ouvriers, en 1918 la Banque populaire de Gironde, et en 1927 la clinique de La Bastide. Le bienfaisant Bordelais est décédé en 1933, à l’âge de 74 ans. Toujours pas tout à fait à la retraite, puisqu’il était encore président de la Fédération internationale de gymnastique.
Mathilde Loeuille