De la success-story de Kalisto à l’émergence d’une nouvelle génération de studios, le jeu vidéo en Nouvelle-Aquitaine rayonne depuis quelques années et cherche à s’imposer en France comme à l’international. Petit tour d’horizon.
Début juin 2022, les grands noms du jeu vidéo profitaient de l’espace médiatique du Summer Game Fest pour diffuser leurs annonces sur les prochaines grosses sorties vidéoludiques. Parmi ces annonces, deux jeux se taillaient une place de choix lors de la conférence du géant Microsoft, à savoir l’annonce du 40e anniversaire de Microsoft Flight Simulator et une suite d’un jeu marquant de 2019, A Plague Tale: Requiem.
Ces deux jeux très attendus par les fans ont pour point commun d’être développés à Bordeaux, par les équipes d’Asobo Studio.
Que ce soit avec Asobo, Motion Twin, Ubisoft ou d’autres, depuis quelques années le jeu vidéo bordelais, et par extension néo-aquitain rayonne à l’international et récolte même des récompenses. Pourtant l’attrait et la bonne santé du secteur jeu vidéo en Nouvelle-Aquitaine ne sont pas nouveaux.
Kalisto, là où tout a commencé
Dans les années 1990, le secteur n’en est encore qu’a ses jeunes années quand l’entrepreneur Nicolas Gaume, passionné de jeux vidéo, fonde à l’âge de 19 ans la société d’Atreid Concept qui deviendra par la force des choses, Kalisto Entertainment quelques années plus tard.
L’entreprise bordelaise connaîtra un certain succès au cours de la décennie et développera des jeux édités par de grands noms, comme Dark Earth ou Nightmare Creatures. Ubisoft choisira également le studio bordelais pour développer le jeu adapté du film Le Cinquième Element de Luc Besson. En 12 ans d’existence, une cinquantaine de jeux seront publiés par l’entreprise bordelaise qui compte jusqu’à 300 employés à son apogée.
Nicolas Gaume sera même invité par le président Jacques Chirac pour un voyage au Japon, terre sacrée du jeu vidéo. Pourtant si les choses semblaient se dérouler sans accroc pour l’entreprise girondine, son entrée en bourse à partir de l’année 1999 marquera aussi sa fin. Avec l’éclatement de la bulle internet, les difficultés commenceront pour la société qui accumule vite des pertes records. Le couperet tombera finalement en 2002 lorsque Kalisto est placée en liquidation judiciaire. Nicolas Gaume de son côté rejoindra d’autres studios comme Codemasters puis Ubisoft en tant que conseiller avant de fonder une nouvelle société Mimesis Republic. Il sera également le président du Syndicat national du jeu vidéo (SNJV) de 2009 à 2014.
Pourtant, si l’aventure Kalisto a ainsi trouvé une fin prématurée, l’histoire n’est pas tout à fait terminée pour ses héritiers.
L’envol d’Asobo
En juin 2002, des anciens de Kalisto rachètent les droits du jeu multijoueur Super Farm et fonde Asobo (« amusons-nous » en japonais). Avec cette nouvelle entité, la douzaine de développeurs se mettent au travail, toujours niché en terres bordelaises.
Après avoir réalisé des jeux adaptés des succès Pixar ou The Crew pour Ubisoft, le studio commence à vouloir développer ses créations originales comme le jeu de course Fuel sortie en 2009. Asobo devient également le premier studio indépendant à avoir développé sur l’Hololens de Microsoft, une technologie de réalité mixte qui permet de simuler des hologrammes dans le champ de vision de son utilisateur.
C’est pourtant réellement en 2019 que le studio prend réellement son envol avec la sortie et le succès d’ A Plague Tale : Innocence. Ce jeu d’aventure prend place dans une Guyenne plongée en pleine guerre de Cent Ans et ravagée par la Peste noire et l’Inquisition. Salué par la critique et par des ventes records pour le studio, le jeu a également été primé par des nominations aux grandes cérémonies de prix vidéoludique et par plusieurs Pégases, les « César du jeu vidéo français », dont celui du jeu de l’année.
Une bonne santé pour Asobo qui transformera également l’essaie l’année suivante avec la sortie de la dernière version de Microsoft Flight Simulator, développé en interne par le studio. De nouveau, les critiques sont unanimes et saluent la qualité de la simulation de vol, appuyé notamment par des graphismes photoréalistes saisissants. Avec ce succès de haut vol, Asobo remporte une nouvelle fois le Pégase du jeu de l’année, pour la deuxième année consécutive.
Une levée de fonds en 2021 permettra à Asobo de se hisser au premier rang comme studio indépendant français. Si le studio représente le renouveau et s’impose comme la vitrine du jeu vidéo bordelais, l’explosion du jeu indépendant des années 2010 a permis à toute une nouvelle génération de studios et d’entreprises d’émerger dans la région.
Des grands noms du jeu vidéo français
L’autre grand succès du jeu vidéo bordelais est à chercher du côté de Motion Twin. Cette société coopérative et participative (SCOP) est fondée en 2001 à Bordeaux avec notamment à son bord des anciens de Kalisto. Motion Twin ne compte que 8 membres, sans patron et où chaque employé à son mot à dire sur les projets du studio. Ce dernier s’est avant tout spécialisé dans les années 2000 dans les jeux jouables directement sur navigateur internet via la technologie flash. Des jeux comme Miniville, La Brute ou encore Hordes ont assuré le succès de l’entreprise. Certains de ses jeux pourtant développés il y a presque 20 ans sont encore aujourd’hui toujours en ligne.
Le studio sortira finalement des sentiers battus pour son premier jeu sur PC et consoles en 2018 avec le jeu d’action-aventure Dead Cells. Et c’est le succès immédiat. Vendu à ce jour à plus de 5 millions d’exemplaires, le jeu remportera même le Game Awards américain du jeu d’action, une première pour un jeu indépendant, qui plus est français.
Un succès que compte bien égaler un autre grand acteur du secteur. Cofondé en 2012 par Sebastien Vidal et Nicolas Cannasse (également cofondateur de Motion Twin), Shiro Games s’est définitivement placé lui aussi sur l’échiquier du jeu vidéo français.
Après le succès de son premier jeu Evoland, mais aussi de Northgard (Pégase du meilleur jeu vidéo mobile en 2022), le studio s’est attaqué au jeu de stratégie à grande échelle avec la sortie en accès anticipé de Dune Spice Wars, un jeu officiel tiré de l’univers du roman de Frank Herbert.
Difficile de dresser un portrait sans l’évoquer. À l’automne 2017, c’est un autre géant du jeu vidéo qui s’installe en terres girondines avec l’ouverture de Ubisoft Bordeaux. Cette nouvelle entité verra ses équipes travailler sur les gros jeux du studio comme Assassin’s Creed Valhalla, Rainbow 6, et Beyond Good & Evil 2. En 2023, Ubisoft traversera la Garonne pour s’installer rive droite, à l’écoquartier de la Bastide-Niel.
Il n’y en a pourtant pas que pour la Gironde et sa capitale. Si Bordeaux concentre la plupart des studios et acteurs de l’industrie, d’autres entités se sont créées dans la région Nouvelle-Aquitaine à l’image de HeadBang.Club (Double Kick Heroes) ou encore de La Poule Noire (Edgar Bokbok in Boulzac) à Angoulême.
Si le jeu vidéo peut être « made in Nouvelle-Aquitaine », il peut également inspirer des univers. Si la Guyenne médiévale d’A Plague Tale s’inspire directement d’environnements de la Gironde et de la Dordogne c’est aussi le cas de l’éponyme… Dordogne. Ce jeu, tout en aquarelle, fait la part belle aux paysages périgourdins. Développé par Umanimation et Un Jeu ne sais quoi, le jeu est attendu pour 2022.
La Nouvelle-Aquitaine attractive, mais au pied du podium
En 2021, la Nouvelle-Aquitaine compte ainsi 10,5% des entreprises françaises de jeu vidéo, selon le dernier baromètre du SNJV. Si ce chiffre demeure stable, par rapport aux autres années, la Nouvelle-Aquitaine reste malgré tout au pied du podium derrière l’île-de-France, la région Auvergne-Rhône-Alpes et l’Occitanie.
En 2018 toujours selon le baromètre du SNJV, la Nouvelle-Aquitaine pouvait se targuer d’une belle deuxième place derrière l’Île de France avec 13% de l’industrie sur ses terres. Dans le détail, 52,8% des entreprises présents en Nouvelle-Aquitaine sont des développeurs, 43,9% des prestataires de services et fournisseur de technologie, 2,4% des éditeurs et 0,8% des distributeurs.
En plus d’attirer des studios indépendants et des gros acteurs de l’industrie, la région peut également se vanter d’être un terreau de la formation qui forme les jeunes pousses du JV. Toujours selon les chiffres du SNJV, la région possédait en 2019 près de 10% des établissements d’enseignement dans le domaine du jeu vidéo.
Avec son pôle Magelis qui compte une trentaine de formations à l’image, la ville d’Angoulême et la région Charente bénéficie d’un pôle unique en France. Parmi elles, on distingue notamment l’École nationale du jeu et des médias interactifs numériques du Cnam (CNAM-EJMIN), une formation d’enseignement supérieur publique fondé en 2005 que La Tribune qualifie de « référence mondiale en matière de nouveaux talents du jeu vidéo », dans un article consacré à la formation.
Une formation de nouveaux talents que les acteurs du secteur comptent bien accélérer avec des initiatives comme les Ateliers START, un rendez-vous créé en 2018 et qui a pour vocation d’accompagner les collégiens et lycéens dans leur orientation vers les métiers du jeu vidéo.
Faire de la Nouvelle-Aquitaine la Californie du jeu vidéo
Si la région n’a plus rien à prouver par la qualité de ses productions et des studios vidéoludiques, c’est vers une consolidation de son écosystème que les acteurs du secteur se dirigent aujourd’hui.
En 2021, les deux associations historiques des acteurs du jeu vidéo en Nouvelle-Aquitaine, Bordeaux Games et Angoulême JV, ont fusionné pour donner une nouvelle entité, SO Games. Avec plus d’une centaine d’adhérents, les objectifs de l’association sont de « développer la filière du jeu vidéo à travers la mise en avant d’un écosystème riche et varié, une représentativité à l’échelle nationale et internationale, la création d’un réseau expérimenté et bienveillant. ».
Cette volonté se concrétisera notamment par la tenue d’un grand évènement professionnel, le salon Horizon (s), le 5 et 6 octobre prochain au Grand Théâtre de Bordeaux. Interrogé par Sud Ouest, le président de SO Games ne cache pas son ambition, faire de la Nouvelle-Aquitaine, la Californie du jeu vidéo français.
Martin Nolibé
Crédit photo : Kelly Sikkema / Unsplash