Médias indépendants : le défi de la stabilité financière

Podcastine est un média indépendant. Chaque jour, nous vous proposons un podcast où un(e) journaliste d’un autre média indépendant de la région vient expliquer, au micro, l’un de ses articles. En un peu plus d’un an, le cercle de nos partenaires s’est agrandi et nous avons d’ailleurs consacré des épisodes au lancement d’Horizon(s), puis de La Disparition.

Le Fonds pour une presse libre se bat pour que tous ces médias indépendants puissent exister, notamment en offrant à certains un soutien financier. Entretien avec Charlotte Clavreul, la directrice exécutive du Fonds.

 

Podcastine : Pourriez-vous présenter le Fonds pour une presse libre et ses missions ?

 

Charlotte Clavreul : Le Fonds a été créé en 2019 par les cofondateurs de Mediapart, avec deux missions. La première était de sanctuariser le capital de Mediapart, ce que nous avons fait la même année. Mediapart ne pourra donc jamais être racheté, ce qui garantit son indépendance ad vitam æternam. La deuxième mission est de défendre et protéger le pluralisme de la presse et l’indépendance de l’information. Pour cela, nous avons un rôle de plaidoyer, nous intervenons dans le débat public pour dire que la presse indépendance a la même importance que les médias mainstream. Par ailleurs, nous soutenons financièrement les médias indépendants à travers des appels à projets.

 

Comment fonctionnent ces appels à projets ?

 

Concrètement, le Fonds peut accorder des subventions, à hauteur de 15 000 euros maximum par projet retenu, pour des projets innovants en termes éditoriaux. Cela peut-être des enquêtes au long cours, de nouvelles rubriques…

Pour le troisième appel à projets, qui a lieu en ce moment, nous avons créé deux nouvelles modalités. D’abord, nous proposerons des avances remboursables à des médias qui ont un projet pour structurer leur entreprise et leur modèle économique, par exemple en améliorant la gestion de leur service Abonnés. Ces avances s’élèveront au maximum à 45 000 euros, avec une franchise de deux ans. Ensuite, les remboursements nous permettront de soutenir d’autres médias.

Enfin, la troisième modalité consiste à entrer au capital de médias. Le fait que le Fonds entre au capital nous permet d’avoir un rôle de vigie, d’observer les menaces potentielles qui pourraient peser sur le capital du média indépendant.

Depuis la création du Fonds, nous avons soutenu sept médias dont Disclose, Radio Parleur ou la Revue Far Ouest (ndlr : partenaire de Podcastine). Ce troisième appel à projets a une dotation plus importante, au moins 100 000 euros, puisque nous avons récolté 160 000 euros grâce à une campagne de financement sur kisskissbankbank.

 

Quels sont les profils des médias qui candidatent ?

 

Il y a beaucoup de médias écrits. Il y a aussi un engouement pour les formats longs, même si les journalistes ont du mal à les réaliser parce qu’ils manquent de moyens et de temps. Certains nous expliquent qu’ils passent un tiers de leur temps à régler des problèmes techniques, administratifs parce que n’arrivent pas à caler leur modèle économique. Leur situation reste donc fragile. Les médias qui candidatent ont des fonctionnements différents. Le Poulpe, l’un des lauréats, a un abonnement minimal de quatre euros par mois. Pour Disclose, chaque lecteur peut donner ce qu’il veut. Il n’y a pas un modèle économique de référence, chaque média peut trouver le sien, mais cela suppose d’avoir un business plan, de ne pas se lancer à l’aveuglette. C’est en cela que nos avances remboursables peuvent aider les médias à se structurer. Cela leur permet de prendre de la hauteur au lieu de vivoter comme ils peuvent.

Vous évoquez votre campagne de financements, vous avez également lancé l’appel « Ouvrez les fenêtres, lisez la presse indépendante » qui a été signé par de nombreux médias indépendants, dont Podcastine. D’où est venue l’idée de cet appel ?

 

Au moment de la campagne de financement, nous avons reçu beaucoup de messages de citoyens nous disant qu’ils ne supportaient plus l’agenda médiatique actuel. Alors nous avons pris l’initiative de lancer ce manifeste, pour montrer qu’il existe un autre agenda médiatique, que les médias indépendants proposent des sujets d’une grande richesse, que c’est une presse qui nous raconte, dans laquelle on se retrouve. Le premier jour, le manifeste a été signé par 45 médias indépendants, et on a terminé avec 93 signatures.

On était très contents, on a fait des dépêches auprès de l’AFP mais nous avons eu la mauvaise surprise de voir que le manifeste n’a pas été évoqué dans la presse nationale. Pourtant, c’est la première fois qu’un appel comme celui-ci récolte autant de signatures, et la presse indépendante ne cherche pas à concurrencer les gros médias. Elle est complémentaire.

 

Dans ce contexte, comment faire connaître la presse indépendante à un large public ?

 

Ce n’est effectivement pas facile de se faire connaître, d’autant plus que les grands médias ont de plus de moyens et plus de visibilité. Nous espérions justement y remédier un peu avec notre appel, qui n’a malheureusement pas été repris ensuite. Pourtant c’est important que tous les médias aient une visibilité sur la scène médiatique. La démocratie doit permettre à tous les citoyens d’avoir accès à une information pluraliste, libre, éclairée, pour qu’ils puissent faire leurs propres choix. C’est d’autant plus important en période électorale.

De notre côté, pour faire vivre notre appel, nous organiserons une grande réunion publique à Paris le 17 février. Elle sera diffusée en direct sur Internet, et nous allons solliciter tous les médias qui ont signé l’appel, pour qu’ils partagent cette diffusion sur leur site.

 

Dans un article publié sur votre site, vous alertez contre les risques liés à la concentration des médias aux mains de quelques hommes d’affaires. Avez-vous l’impression que les politiques sont conscients de ces enjeux ?

 

Une commission d’enquête sénatoriale a été créée en novembre, le Fonds va être auditionné à la fin du mois. Ce serait intéressant que des grands patrons de presse soient convoqués également, pour voir ce qu’ils ont à dire lors de leur audition.

Par ailleurs il faudrait réformer le système des aides publiques à la presse, qui est inéquitable. En 2019, les plus gros groupes financiers du pays ont récupéré 51% des aides publiques. Le groupe Arnault (ndlr : Le Parisien, Aujourd’hui en France, Les Échos) par exemple, a perçu 16 millions d’euros. Et tout cela au détriment de la presse indépendante.

 

Propos recueillis par Mathilde Loeuille

Crédit illustration : Fonds pour une presse libre