Bédéaste, graphiste et musicien, connu depuis les années 1990, Jeff Pourquié est un touche-à-tout. Sa zone de confort, c’est l’inconfort. Portrait d’un artisan humaniste qui cultive l’art du doute.
Il est le collaborateur de Fanny Cheyrou, journaliste à La Croix, pour le livre « Ils sont infirmiers de campagne » – paru aux éditions du Palais. Dans l’épisode de Podcastine Infirmiers de campagne, un sacerdoce heureux, la journaliste raconte le quotidien de Max et Ludo, deux infirmiers libéraux dans les Landes, qu’elle a suivis pendant une année. Jeff Pourquié l’a accompagnée au crayon de couleurs.
Comme tout dessinateur qui se respecte, Jeff Pourquié a « toujours tenu un crayon » dans sa main. Enfant et déjà amateur de bande dessinée autant que d’humour, il s’amuse à recopier les Dalton et Lucky Luke, personnages inimitables de Morris. Il poursuit son auto-apprentissage avec les couleurs aventureuses d’Hugo Pratt, période à laquelle son intérêt pour la peinture s’affirme. Au début des années 1990, alors que la BD franco-belge connaît un essoufflement, il s’épanouit dans « des univers barrés et bigarrés ». Héritier des couleurs criardes des années 1980 et s’inscrivant dans le mouvement post-moderniste, Jeff Pourquié s’exerce à la fiction. Sa collaboration avec le magazine A Suivre lui permettra de s’essayer à différents styles: « Quand on est jeune dessinateur, on se cherche et on se teste. Les petits formats offrent cette liberté ». Curieux de tout univers et de tout format, il passe des farces dessinées aux meurtres illustrés. Intrigué par « es personnages complexes et les ambiances ambiguës » des polars, il en lit beaucoup « par périodes ». Aux côtés de Patrick Pécherot, il raconte la noirceur de la littérature policière car « e côté contemporain » l’intéresse.
« A l’hôpital psychiatrique de La Chesnaie, on ne sait pas à qui l‘on parle »
« Bordélique » dans sa façon de glaner des styles selon ses envies, il se frotte au réel en passant la porte de l’hôpital psychiatrique La Chesnaie. Un établissement où ni les soignants ni les patients ne portent de blouses, si bien qu’ « on ne sait plus à qui l’on parle ». « La Chesnaie, c’est la frontière entre l’imaginaire et le réel. Le réel car on participait à la vie quotidienne des résidents, notamment en prenant part à la cuisine des repas. L’imaginaire car, souvent, les conversations étaient surréalistes ». De cette première immersion dans le monde médical – et pas des moindres ! – il en a un souvenir tendre. Aussi enthousiaste à l’idée de rencontrer de nouvelles personnes que stimulé à celle de dessiner « des gueules’ », il accepte volontiers la proposition d’illustrer l’histoire de Max et Ludo racontée par Fanny Cheyrou. « C’était aussi l’occasion pour moi de dessiner autrement, avec des crayons de couleur ». « Nous nous sommes tous rencontrés après le premier confinement, chez la grand-mère de Fanny. J’ai tout de suite été dans le bain et je me suis naturellement fondu dans le décor, j’ai ce côté caméléon ». Bien qu’il ne soit resté qu’une semaine à suivre le quotidien de Max et Ludo, il a bien rigolé avec la grand-mère de Fanny, qu’il trouve « rigolote, cultivée et franche ». L’envers de ce décor landais, c’est la solitude qu’il a ressentie lors des tournées de Max et Ludo chez les particuliers.
« Les gens meurent dans le désert pour se rendre en Europe. Peu de gens le savent »
Jeff, c’est un humaniste. Il illustre la vie des fous, des vieux et des migrants. Avec la journaliste Taina Ternoven dans la Revue Dessinée, il décrit par ses mélanges de couleurs – qu’il empreinte entre autres à la peinture abstraite de Rothko – le parcours trop souvent funeste des exilés. « Les gens meurent dans le désert pour se rendre en Europe. Peu de gens le savent ».
Retour aux sources
Comme pour beaucoup d’artistes, la vie de Jeff est parsemée de doutes: « devrais-je me lancer à corps perdu dans la peinture? Ou poursuivre le dessin? ». Ces derniers temps, celui qui est aussi guitariste du groupe « Les Jacquelines Maillan lâche prise de ses mondes parallèles en s’essayant à la batterie. « J’ai toujours vu la musique comme une fête » explique-t-il, lui qui s’est également lancé dans le jazz manouche. Les cultures latines l’appellent, il apprend aussi à parler espagnol! Une langue qui lui servira peut-être à exporter à l’étranger Rita, le fanzine qu’il a créé il y a deux ans. « Rita, c’est un peu la figure emblématique latine. On retrouve une personnalité espagnole, castillane. C’est aussi la mascotte du fanzine ». Selon le dessinateur, elle reste enfant ou devient adulte. « Dans tous les cas, ce petit personnage s’adresse à une part enfantine de nous-mêmes ». Sans capital de départ, la revue – qui va bientôt publier son quatrième numéro – entend rendre visible les différents dynamismes d’illustration et de graphisme et affiche la volonté de confronter les générations de dessinateurs. Un peu dans l’esprit de A Suivre, là où il a débuté.
Lisa Fégné