Si les deux tiers des centres commerciaux français ferment ce samedi 6 mars, les commerçants des marchés de plein air ne voient pas encore revenir leurs clients. Exemple au Cristal de Toulouse.
Sans eux, nous ne pourrions pas nous nourrir. Durant la crise sanitaire, les agriculteurs, cultivateurs et éleveurs se sont mobilisés afin de répondre aux besoins alimentaires du pays, comme rappelé dans l’épisode de Podcastine « Manger est un sport de combat » et dans le documentaire France 3 Nouvelle-Aquitaine de Gilles Luneau intitulé « Manger est un acte agricole ». Au bout de la chaine, de la terre à l’assiette, les commerçantes et commerçants des marchés populaires, comme le Cristal de Toulouse.
Comme tous les jours depuis quarante ans, Anne déballe sa marchandise, enthousiaste, sur le marché du Cristal en centre-ville de Toulouse, situé Boulevard de Strasbourg à proximité de la station de métro Jeanne d’Arc. Les paquets sont lourds et le dos usé mais les fruits et légumes illuminent de leurs teintes vives et chatoyantes les étals dressés très tôt dans la matinée. Panais, patates douces et navets boules se dispersent en alignements ordonnés. Le soleil est déjà haut dans le ciel toulousain lorsque les premiers clients se présentent à Anne pour effectuer quelques emplettes de saison.
Les achats restent hésitants : il aura fallu plus de trois minutes à une cliente, chapeau pourpre vissé sur la tête et la main quelque peu agitée, pour faire le choix de…trois panais, pour un total de 1,84 euro dépensé. Comment le reprocher à la clientèle ? « Les gens ont peur. Ils gardent leur argent et ils ont raison : on ne sait pas ce qui nous attend. »
Anne, contrainte d’aller vivre chez son fils
Malgré son regard rieur, derrière son masque en tissu, on distingue l’inquiétude – à la fois angoissante et résiliente – de la commerçante. N’ayant pas pu travailler durant deux mois lors du premier confinement, décrété le 17 mars 2020, la primeure a été contrainte d’aller vivre chez son fils car elle n’avait aucune rentrée d’argent et voyait les charges s’accumuler. « Comment je fais moi, pour manger ? » lance-t-elle de sa voix révoltée. Bien qu’elle ait eu accès à 2100 euros d’aides de l’État, durant un mois et demi, qui ont permis de « maintenir le bateau à flots », Anne a été obligée de s’endetter auprès de ses grossistes à raison de 10 000 euros, du fait de la perte d’activité durant l’hiver dernier. « J’espère pouvoir les rembourser en intégralité dans deux ans », soupire-t-elle. Le coude posé sur une palette d’oranges, elle a le regard qui fuit. L’an passé, les mobilisations gilets jaunes en centre-ville ne lui ont pas permis d’atteindre le chiffre d’affaires attendu. « ça fait deux ans que nous vendons à perte, deux ans que les recettes sont inférieures à 50% » s’insurge-t-elle dans ses mots mais en douceur dans sa voix, fatiguée. C’est parce que le ciel économique lui tombe sur la tête, qu’elle s’initie à la philosophie du lâcher-prise quotidien : elle revient de cinq jours de repos passés en famille, qu’elle n’avait jamais pris jusqu’ici.
Pour Habib, « soit on vend, soit on paie de notre poche »
Des vacances que Habib, situé au stand de fruits exotiques juste en face, aurait bien aimé prendre pour retourner voir sa famille en Algérie. « Le confinement, c’était les vacances » lance-t-il sur le ton de la plaisanterie. Dans ses yeux bleus qui tirent vers le gris, on peut y lire la même inquiétude que Anne, bien qu’ils n’aient pas fait les mêmes choix concernant les aides.
Achats à crédits
Il explique : « Nous ne les avons pas demandées. Mon comptable m’a dit que les aides ne pouvaient pas dépasser les 1500 euros et que les démarches allaient être trop énergivores pour un résultat peu satisfaisant. » A l’heure actuelle, Habib et son associé achètent la marchandise à crédit puisque la moitié du chiffre d’affaires a été perdue en raison des confinements successifs : « Heureusement que les grossistes nous connaissent ! ». « Soit on vend, soit on paie de notre poche » regrette-t-il. Les comportements consuméristes ne le rassurent pas, il partage l’avis de Anne : « Les clients font très attention à leurs dépenses, ils n’effectuent plus que des petits achats. Trois pomelos par-ci, deux avocats par-là ». Les clients qui achetaient en gros, les familles, ont déserté le Cristal. L’augmentation du prix du parking – trois euros pour un stationnement de deux heures – les ont découragés de se rendre en centre-ville, selon le vendeur. Et avec eux, la clientèle du quartier : les employés des banques et des bureaux, tous passés en télétravail, « ne font plus leurs courses ici », déplore-t-il, tout en saluant un habitué du stand qui lui rapporte les 0,80 euros qu’ils lui devaient de la fois dernière. « On vend même à crédits aux clients ! C’est pour dire si c’est pas la galère pour tout le monde ! »
La curiosité des jeunes, « n’a pas de prix »
Plus loin, ses cheveux noirs qu’il redresse derrière ses oreilles, Eric relativise : « grâce au Covid-19, les jeunes ont exprimé un intérêt, une curiosité pour les produits. Lorsque les mesures sanitaires nous obligeaient à servir les clients, nous prenions le temps de discuter des différentes variétés et de l’importance des saisons. Et ça, ça n’a pas de prix ».
Alors que, pour l’heure, l’embellie économique ne se dessine pas pour 2021, six aides étatiques peuvent permettre aux travailleurs indépendants de faire face à la crise sanitaire. Parmi celles-ci, le fonds de solidarité, le report des échéances fiscales et le chômage partiel.
Les primeurs « croisent les doigts » pour que cela suffise…
Crédit photo : Julie Garrido
Lisa Fégné