Malgré une certaine stabilité en France, la consommation mondiale de vin baisse constamment depuis 2002, selon l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV). Dans ce contexte, certains viticulteurs et entrepreneurs tentent de se démarquer. Exemple une nouvelle méthode de conservation du vin : l’immersion sous-marine des bouteilles. Coup de com ou vraie plus-value?
La technique, en dépit des apparences, ne date pas d’hier. Alors que douze bouteilles viennent de séjourner dans l’espace, Franck Labeyrie, un vigneron girondin travaillant au Château du Coureau, immerge chaque année depuis 2008 plus de deux mille bouteilles de sa cuvée dans les eaux du Bassin d’Arcachon. Mais les difficultés techniques d’un tel mode de conservation et l’aspect expérimental du projet ont d’abord relégué cette méthode au rang de l’anecdote.
Pourtant, depuis quelques années, la concept fait de plus en plus parler de lui, notamment en raison de l’apparition d’un acteur privé spécialisé dans ce concept et par l’intérêt croissant que lui portent un certain nombre de vignerons, notamment de la région Nouvelle-Aquitaine.
D’Arcachon au Pays Basque, plusieurs d’entre eux ont fait le choix de se lancer dans l’aventure du vin immergé. Séduits par l’aspect commercial de cette méthode et par les qualités gustatives qu’elle semble offrir, ils conservent désormais une partie de leur cuvée en milieu sous-marin, dans l’Océan Atlantique. Là, les puissants courants marins permettent véritablement au vin de profiter d’un environnement différent, avec la salinité qu’offre notamment l’océan Atlantique, comme l’explique le sommelier Yannick Heude au journal 20 minutes : « s’il n’y a pas de courant, pour moi, ça ne sert à rien de les mettre sous l’eau ». Cette conservation du vin sous l’eau démarre notamment à Ciboure, dans le Pays Basque, où le vin Egiategia est fermenté sous la mer, et remonte jusqu’à la baie de l’Aiguillon, en Vendée, où une cave sous-marine abrite des bouteilles de vin qui passent plusieurs mois en mer, en passant par le Bassin d’Arcachon, où plusieurs viticulteurs bordelais viennent profiter des eaux arcachonaises pour mettre en œuvre, eux aussi, cette méthode innovante.
« On ne va pas transformer du plomb en or »
Un membre de la société Amphoris, à propos de cette méthode de conservation sous-marine du vin
L’arrivée dans ce business encore peu médiatisé d’un nouvel opérateur privé, Amphoris, a aussi contribué à faire parler de ce nouveau mode de conservation. Cette start-up brestoise s’est spécialisée dans l’immersion sous-marine de bouteilles de vin, en ambitionnant de professionnaliser une technique jusqu’alors assez artisanale, la majeure partie des viticulteurs y ayant recours utilisant jusqu’à présent les bacs à huitres d’ostréiculteurs afin d’y parvenir.
Un membre de la start-up, que Podcastine a contacté, explique son objectif : « faire vieillir des grands crus en cave sous-marine ». Amphoris préférer se consacrer aux grands vins et l’assume : « on ne transforme pas du plomb en or ». Pour ce faire, elle propose à ses clients – elle ne vend pas de vins mais s’occupe seulement de sa conservation – de faire profiter leurs produits de conditions sous-marines optimales à Ouessant, en Bretagne. Leur site Internet promet une obscurité totale et une température constante, autant d’atouts indispensables à la bonne conservation du vin sur terre, et désormais sous la mer. Une belle occasion est ainsi donnée aux vignerons, qui font partie des professionnels clients d’Amphoris, de sortir leurs cuvées des sentiers battus. Chez Amphoris, on nous promet que le vin va connaître une évolution différente : « le vin n’est pas forcément meilleur, il est différent, et les oenologues de nos clients viticulteurs l’ont bien senti ».
Franck Labeyrie, quant à lui, n’hésite pas à avancer, au micro de France Bleu Gironde, que le vin qu’il conserve sous l’eau est résolument meilleur, après plus de dix années d’expérience. Le vigneron girondin explique cette plus-value par « l’apparition de notes toastées et iodées pour le vin blanc, et un apport de gras et de souplesse pour le vin rouge ». De telles subtilités peuvent être sujettes à interrogation, et nous avons demandé son avis à un œnologue, qui a tenté de se prononcer pour Podcastine sur ce mode original de conservation du vin. Ce spécialiste de la science du vin n’hésite pas à confirmer les bénéfices que peut apporter une conservation sous-marine du vin : « la température fraîche et constante ainsi que l’absence de luminosité, habituelles caractéristiques d’une cave classique, ne peuvent qu’être propices à une conservation idéale du vin ». Cependant, même si cet œnologue conçoit qu’un tel type de conservation peut avoir de réels avantages, notamment pour le vin blanc, des interrogations demeurent, notamment liées à « l’absence d’oxygène, qui entraîne davantage la conservation du vin que son évolution ».
UNE MÉTHODE PROMETTEUSE ?
En l’absence d’éléments très concrets, cette méthode étant encore considérée pour beaucoup de ses adeptes comme expérimentale, un élément paraît tout de même faire l’unanimité : l’apport de salinité permis par l’eau de mer peut « rendre le vin plus long et plus élégant », comme le confiait notamment Bruno Lemoine, propriétaire viticole, au magazine franco-américain Slate.
Cette alternative peut même s’avérer écologique : « tous les vignerons conservent leur vin, l’été, dans des espaces réfrigérés. Le conserver dans la mer toute l’année permet d’éviter cet usage », souligne l’œnologue. Utiliser, donc, moins d’électricité en aval, tout en libérant une place coûteuse pour les vignerons.
Si ce concept est voué à demeurer « un commerce de niche », dixit le membre de la société Amphoris, il semble destiné à continuer à faire beaucoup parler de lui. D’autant plus que, selon plusieurs spécialistes, ce sont également les pétillants qui sortiraient magnifiés de ce bain prolongé. Après une immersion sous l’eau, le champagne peut alors couler à flots !