En écho à notre épisode « Vins de Bordeaux, une légende malmenée mais vivante »
En dix ans, le nombre d’exploitations viticoles bio en Nouvelle-Aquitaine a été multiplié par 2,5, pour atteindre 1 668 exploitations labellisées en 2020. Le processus de conversion dure trois ans, et n’est pas évident pour les viticulteurs.
Anne-Marie Boeuf est viticultrice au Puy, en Gironde. Son vignoble est en conversion depuis 2019.
Podcastine : Pouvez-vous présenter votre vignoble ?
Anne-Marie Boeuf : Je suis la gérante de l’EARL Château-Gachon depuis les années 90. Mon mari était installé bien avant moi, nous avons travaillé ensemble jusqu’à sa retraite il y a deux ans. Ma fille est alors entrée dans l’exploitation et je travaille aujourd’hui avec elle et mon gendre. Nous avons plusieurs activités : 20 hectares de pruniers, et 18 hectares de vigne.
Quand et pourquoi avez-vous pris la décision de passer à la viticulture bio ?
Nous sommes passés au bio il y a une quinzaine d’années pour les pruniers, et les bruits de couloir disaient que les exploitants ayant plusieurs cultures avaient tout intérêt à passer au 100% bio pour ne pas risquer de perdre des contrats de vente. Or, nous ne voulions surtout pas perdre un négociant. C’est donc ce qui nous a décidés à convertir également les vignes.
Par ailleurs, nous voulons développer une activité de vente directement sur le domaine, car de nombreux touristes s’arrêtent pour se balader sur notre propriété, autour de notre château. Ils nous achètent des prunes et nous demandent également du vin. Depuis 2020, nous travaillons avec une cave coopérative qui nous offre la possibilité de faire notre propre vin bio. Nous devrions donc faire nos premières bouteilles en 2023, à la fin de notre processus de conversion.
La conversion prend trois ans, nous sommes dans notre dernière année. Ensuite, nous serons certifiés bio. Nous sommes également certifiés HVE (Haute valeur environnementale) depuis longtemps. Toutes ces certifications sont importantes, cela incite les consommateurs à acheter. D’autant plus qu’ils sont de plus en plus proches des agriculteurs. Je ne sais pas si c’est lié au Covid, mais nous avons de plus en plus de demandes d’achats en direct.
Quelles ont été les premières étapes de votre conversion au bio ?
D’abord, nous avons souhaité être accompagnés. Il y a une quinzaine d’années, pour les pruniers, nous étions seuls et cela avait été très difficile. Cette fois, nous avons eu les conseils d’un technicien d’Agrobio, ainsi que ceux de notre technicien de produits phytosanitaires avec qui l’on travaille depuis des années. Nous avons également démarché d’autres viticulteurs bio, pour avoir leurs retours.
Ensuite, il a fallu investir 200 000 euros dans du matériel. D’abord des tracteurs, car en bio, il faut constamment travailler le sol, la charge de travail est doublée par rapport à la viticulture conventionnelle. Nous avons aussi acheté des atomiseurs qui coûtent très cher. Nous avons fait le choix du haut de gamme pour protéger la vigne des maladies, et cela a payé car sinon, l’année dernière, nous aurions été envahis.
Comment s’est passée la transition entre les produits utilisés précédemment, et ceux autorisés en bio ?
Au départ, cela a été difficile, notamment parce que nous n’avions plus de produit pour sulfater. Il y a de moins en moins de produits autorisés, cela devient compliqué de faire des traitements sur la vigne. Pourtant, certains produits interdits ici sont autorisés en viticulture bio ailleurs dans l’Union européenne. Ce n’est pas très logique.
Aviez-vous peur de produire moins?
Oui car pour les pruniers, nous avions vu la différence. Normalement, en culture conventionnelle, pour un hectare on produit six à sept tonnes de prunes. En bio, on chute à 1,5 tonne. Donc nous avions dû tout restructurer, passer de 200 arbres/hectares à 400 arbres/hectares pour monter notre rendement. Aujourd’hui, cela marche bien.
Pour la vigne, nous verrons s’il faut augmenter la densité des pieds. Ce n’est pas dans nos projets pour l’instant. Notre « année test » en 2021 a été chamboulée par le gel, la pluviométrie excessive… Mais finalement, nous nous en sommes bien sortis puisque notre rendement moyen a été de 41 hectolitres/hectare. Cela correspond à la moyenne en viticulture conventionnelle.
Quels conseils donneriez-vous à des viticulteurs qui envisagent la conversion ?
Il faut y croire, s’accrocher ! Nous on y croit et je ne pense pas que nous reviendrons en arrière. Mais nous avons rencontré des gens qui ont fait marche arrière, parce qu’ils avaient presque l’impression de polluer davantage en étant bio. Il faut en permanence être sur le tracteur pour travailler le sol, et c’est vrai que de notre côté, la consommation de fioul a doublé.
Après, il y a un autre choix, celui de la lutte raisonnée. Nous travaillions déjà de cette manière il y a très longtemps, avant de passer en bio pour les pruniers. Nous étions toujours avec notre loupe pour voir s’il y avait des insectes, et nous sulfations uniquement en cas de menace.
En conclusion, peut-être que si nous n’avions pas de succession, nous ne nous serions pas lancés dans le bio. Mais ma fille a 32 ans, elle vient d’arriver dans l’exploitation, donc on se projette vers l’avenir.
Propos recueillis par Mathilde Loeuille
Crédit photo : Anne-Marie Boeuf