Football : les équipe féminines gagnent du terrain (Partie 3/3)

Cette dernière décennie a marqué un tournant pour le football féminin, sur le plan de la diffusion à la télévision. Mais la pratique reste tout de même peu médiatisée par rapport au football masculin.

 

« On parle davantage du football féminin à la télé que dans la presse écrite », affirme Nicolas Delorme, sociologue du sport. Il prend pour exemple la polémique autour de la Une du journal L’Equipe, le 31 août 2020.

 

 

En pleine page, le cycliste Julian Alaphilippe et son « masque d’or ». Les joueuses de l’OL, qui viennent alors de remporter leur cinquième ligue des champions consécutive, ont le droit à un bandeau en haut de page. De nombreux internautes, dont le président lyonnais Jean-Michel Aulas, se sont indignés de ce choix. Nicolas Delorme y voit avant tout un arbitrage corporatiste, “l’Equipe fait partie du groupe qui organise le Tour de France, Amaury Sport Organisation”, mais souligne que cela reste à l’image de la sous-représentation médiatique du sport féminin. Dans un article publié sur le site The Conversation, il estimait que seuls 4% des Unes du quotidien en 2019 avaient été consacrées au sport féminin, et concernaient en majorité la Coupe du Monde.

 

Convaincre les rédactions

 

Si les grands événements sont mis en avant, c’est selon lui davantage dans une “logique nationaliste. On se dit que c’est la France qui gagne, peu importe « le sexe de la médaille ». Et lorsqu’une compétition a lieu en France, il y a l’envie de gagner à la maison », estime Nicolas Delorme. « Après ces temps forts, l’Equipe repart sur son ciblage habituel. Le journal couvre, en gros, quatre sports : rugby, football, cyclisme. Et on ne peut pas leur tomber dessus pour ces choix éditoriaux, ils sont adaptés à leur lectorat jeune et masculin. » Pour le sociologue, la solution serait de convaincre le journal que son lectorat est aussi intéressé par le football féminin. « La Fédération française de football pourrait commander une étude sur l’audience du foot féminin, pour s’en servir comme outil marketing auprès des rédactions, par exemple. »

 

Syanie Dalmat n’a pas la même vision. Journaliste à l’Equipe, elle suit notamment la D1 Arkema et l’équipe de France féminine. Au-delà des débats sur la Une du journal, qui n’est pas forcément représentative des contenus de la rédaction, elle assure que les articles autour du sport féminin, et notamment le football, sont nombreux et existent depuis longtemps : “Parfois, en faisant des recherches, je trouve des articles des années 70 ou 80. La couverture n’est peut-être pas aussi exhaustive que pour le foot masculin, mais elle existe. » Elle cite également Aujourd’hui en France, Le Parisien et, globalement, les titres de presse quotidienne régionale, qui assurent un suivi de la première et deuxième division : « Il y a des articles réguliers, un suivi des performances, cela s’est renforcé depuis la Coupe du Monde de 2019 ». Il existe aussi plusieurs sites indépendants spécialisés, comme Cœur de foot, L’équipière ou Foot au féminin. Au contraire du sociologue, Syanie Dalmat estime que c’est plutôt du côté du public que l’engouement ne décolle pas.

 

Sexisme décomplexé au commentaire

 

Au-delà de l’aspect quantitatif de la couverture médiatique, il y a l’aspect qualitatif”, explique Nicolas Delorme. La façon dont les journalistes et commentateurs parlent des joueuses a également évolué depuis le début des années 2010. Avant la Coupe du Monde 2011, qui a marqué un tournant pour le football féminin, « les joueuses étaient dévaluées, infantilisées, presque moquées. Les commentateurs se questionnaient sur la fragilité supposée des femmes, leur capacité à partir à l’affrontement dans un match », rappelle Natacha Lapeyroux, chercheuse en sciences de l’information et de la communication et autrice d’une thèse sur les représentations télévisuelles des sportives de haut niveau. Après la Coupe du Monde, elles vont commencer à être prises au sérieux, « et à ce moment-là, elles vont être stigmatisées. D’un côté il va y avoir celles qui sont plus queer, on va dire qu’elles ressemblent à des hommes. De l’autre, il y a les joueuses qui vont être sexualisées, on va parler de leurs beaux yeux par exemple. » 

Le sexisme décomplexé va laisser place à des remarques plus insidieuses. Natacha Lapeyroux évoque les qualités dites « féminines » attribuées aux footballeuses à partir de 2013 : « Pour expliquer la progression de l’équipe de France à l’échelle internationale, on va parler de leur solidarité, leur sérieux, le fait qu’elles respectent les consignes. » Nicolas Delorme ajoute que régulièrement, « les joueuses sont comparées à des joueurs, on va dire « elle a joué comme Messi » pour dire qu’elle a bien joué. »

Tous deux notent également la domination masculine dans le milieu du commentaire. « Il y a des consultantes, des anciennes joueuses notamment, mais les femmes n’arrivent pas à accéder au poste de journaliste. » Mejdaline Mhiri, coprésidente de l’association des femmes journalistes de sport, et rédactrice en chef du magazine Les Sportives, analyse : « Il y a deux clichés : celui que les femmes ne s’y connaissent pas assez sur le plan technique, et celui que leur voix risque de partir dans les aigus sur une action. C’est toujours l’idée que la femme peut devenir hystérique. » Aujourd’hui, seuls 15% des journalistes sportifs sont des femmes. Pour Nicolas Delorme : « On aura vraiment avancé quand deux femmes commenteront une finale de Ligue des champions » . En attendant, la médiatisation a déjà eu un premier effet selon Natacha Lapeyroux : “Le nombre de licenciées a triplé entre 2005 et aujourd’hui. La diffusion à la télévision joue beaucoup, les filles peuvent s’identifier aux joueuses et nos représentations évoluent.”

Mathilde Loeuille

Crédit photo : Donnycocacola/Unsplash