La désobéissance non-violente : civique ou civile ?

Le documentaire L’Héritage d’Aristides, consul du Portugal à Bordeaux, interroge sur la notion de désobéissance civile. La désobéissance civile est-elle… civique ?

Quelle est la meilleure façon de traduire l’expression anglaise « civil desobedience » ? La désobéissance non-violente aux lois considérées injustes est-elle civile ou civique ? Jusqu’au début des années 2000, toutes les traductions françaises de l’expression « civil disobedience » ont retenu la terme « désobéissance civile ». En cause, la définition donnée par Gandhi. Le célèbre défenseur de la non-violence insistait sur la civilité de la désobéissance. En s’imposant dans les imaginaires politiques et de société, cette approche pacifique de la désobéissance a permis de la différencier de la désobéissance dite « criminelle ». En 1971, la « Lutte du Larzac » – un mouvement paysan mobilisé contre l’extension d’un camp militaire sur le Causse du Larzac – qui consistait à mener des campagnes de refus-redistribution de l’impôt et de renvois de papiers militaires était bien qualifiée de « désobéissance civile ». Une expression que le lecteur français trouve aisément dans les écrits de Hannah Arendt, Henri David Thoreau, John Rawls ou Martin Luther King.

La désobéissance civile, garante du civisme

Pour le philosophe Henri David Thoreau, considéré comme le père de la désobéissance civile, le concept « se situait personnellement dans une démarche de refus individuel pour ne pas être complice du mal qu’il condamnait » selon un article publié sur le site Irénées en 2017. Ainsi, l’intellectuel refusa de payer ses impôts pour ne pas cautionner l’esclavage et la guerre sans pour autant participer à aucun mouvement collectif organisé. Dans son texte à parution posthume Du devoir de désobéissance civile, il propose des ouvertures vers une action collective susceptible de faire pression sur l’État. Pour lui, seule « une minorité ne peut rien tant qu’elle se conforme à la majorité ».
Pourtant, la parution en 2004 de « Pour la désobéissance civique » de José Bové et Gilles Luneau avait relancé le débat sur la meilleure façon de nommer les actes de désobéissance non-violents. Dans leur ouvrage, les auteurs affirment que « le civisme inclut la civilité et non pas l’inverse. » Ainsi, notre culture politique identifierait le civisme au « respect de l’individu ». Toutefois, une ambiguïté s’impose : une désobéissance dite « civique », au nom de la cause citoyenne, peut finir par légitimer le recours à la violence. La magistrate Évelyne Sire-Marin, également membre de la Fondation Copernic et du Comité central de la Ligue des Droits de l’Homme, explique dans un article publié sur Politis en septembre 2006 qu’elle a une préférence pour les expressions « désobéissance citoyenne » ou « résistance citoyenne » à « désobéissance civique ». Les deux premières lui semblant « plus proche de l’histoire récente de la contestation en France ». Pour autant, elle reconnaît que « dans des circonstances exceptionnelles, la désobéissance citoyenne peut conduire à des actions non pacifistes ».
Pour l’heure, le nouveau Dictionnaire Larousse 2007 a peut-être tranché ce débat, en intégrant l’expression « désobéissance civile » à l’article « désobéissance » et respectant le poids de celle dont la mémoire collective se souvient.

 

Crédit photo : Capture d’écran du site officiel des mouvements de lutte du Larzac 

                                                                                                              Lisa Fégné