Dans l’imaginaire collectif, le cirque met souvent en scène des animaux sauvages, voire exotiques. Mais c’est bien le cheval qui, au fil des siècles, s’est révélé en être indissociable, comme le rappelle Pascal Jacob, historien du cirque.
A la fin de l’année 2020, une bonne (et belle!) nouvelle : Tao, ancien cheval de théâtre, a échappé de peu à l’abattoir. C’est ce que raconte la journaliste Audrey Gleonec dans son article « L’Heureux Noël de Tao en Gironde, un cheval-artiste qui échappe à l’abattoir » paru sur Rue89 Bordeaux et dans l’épisode de Podcastine intitulé « Tao, la deuxième vie d’un cheval-artiste ». Grâce à l’historien du cirque Pascal Jacob, nous avons remonté le temps pour comprendre les raisons qui font du cheval un élément intrinsèque à la création du cirque.
De quand date l’art équestre ?
On a longtemps pensé que le travail et la complicité avec le cheval datait de 5 000 ans avant notre ère, dans une région qui correspond aujourd’hui à l’Ukraine. Il y a quelques années, des sculptures de petits chevaux harnachés – donc apprivoisés – ont été retrouvées dans les sables d’Arabie Saoudite, qui dateraient d’environ 9000 avant notre ère. Le compagnonnage entre le cheval et l’Homme remonte donc à plusieurs milliers d’années. Le cheval est à la fois un moyen de déplacement mais aussi de culture et de guerre. Il permet également de se montrer. Le cheval est un symbole de pouvoir : celui qui est à cheval à plus de pouvoir que celui qui est à pied. D’ailleurs, il est bien plus qu’un animal qu’on utilise. Alexis Grüss, maitre écuyer, dit volontiers : « il y a ma famille, mes chevaux et mes animaux ». On sait que les chevaux, domestiqués par certains peuples cavaliers, permettaient de se dissimuler dessous, derrière, sur les flancs pour se protéger lors d’une attaque. La voltige est donc est une réappropriation des techniques de combat qu’utilisaient les Mongols, les indiens des plaines ou les Cosaques. Les pratiques de combat deviennent, peu à peu, des pratiques spectaculaires.
A Chantilly, les écuries sont des palais pour les chevaux
Comment se traduit le rapport des Hommes occidentaux avec leurs chevaux ?
Le cheval devient un partenaire de représentation dès le XVI°. L’utilisation du cheval à des fins académiques est théorisée. Les meilleures représentations se trouvent à l’Ecole Espagnole de Vienne, au Cadre Noir de Saumur ou encore à l’Ecole Royale de Jerez. Pour de nombreux aristocrates monter à cheval ne suffisait pas. Il fallait aussi être capable d’obtenir du cheval une allure et une attitude sophistiquées. C’est ainsi que la codification du vocabulaire se met en place. On est un maître-écuyer quand on est capable d’obtenir du cheval, bien plus que de le faire marcher au pas ou galoper. A Salzbourg, en Autriche, dans le cœur de la ville, se trouve un bassin magnifique à ciel ouvert, avec de grandes fresques murales en arrière plan : c’était la baignoire de luxe des chevaux du prince-archevêque de Salzbourg. On organisait publiquement les bains des chevaux ! De même qu’à Chantilly, les écuries sont des palais pour les chevaux. On sent bien qu’il y a une reconnaissance politique, sociale et culturelle dans le fait de posséder des chevaux dans des lieux ostentatoires, symboles de pouvoir.
Le cirque devient un refuge pour les chevaux
Pourquoi le cheval, au départ compagnon de guerre, devient compagnon de représentation ?
Le cheval fait partie du quotidien de guerre du XVI° au XVIII°. Dès lors que les guerres reposent moins sur la cavalerie et sont plus stratégiques, beaucoup de régiments écrèment leurs écuries. Les chevaux – symbole de pouvoir, de richesse et de domination – deviennent accessibles à de nouvelles catégories de population. C’est sans doute une des raisons qui explique que le cirque se développe avec autant de facilité à cette époque. D’autant que ce sont des chevaux habitués au bruit, guerre et aux mouvements. Ainsi, ils se prêtent aisément à des exhibitions avec de la musique. Et donc progressivement, le cheval va prendre une place essentielle dans une forme divertissante. Le cirque devient un refuge pour les chevaux : à partir du moment où les militaires ont moins besoin des chevaux, les saltimbanques s’en emparent, ils en font le langage principal de leur spectacle. Progressivement, le cheval va disparaître du paysage, mais tenir son rang au cirque jusqu’à la fin du XIXe pour ensuite s’effacer lentement du répertoire circassien.
Comment était pensé un spectacle de cirque équestre ? De quelles façons ont évolué les pratiques ?
La représentation était rythmée par un tambour et une trompette. Quant au cavalier, il se produit en uniforme, une plume au chapeau. Ce sont des pratiques qui provoquent l’étonnement, mais qui restent simples car les écuyers ne sont pas de vrais acrobates. Philip Astley a été considéré comme le diable car il était capable de se tenir debout sur un cheval au galop… Au XIX°, le public est conquis parce qu’il est connaisseur et possède souvent lui-même des chevaux.
Alors qu’un cheval d’école est quasiment irremplaçable, une otarie, un éléphant, ça se remplace
Comment traitait-on les chevaux dans les cirques ?
Les gens de cirque sont des pragmatiques. Au-delà du lien qui l’unit à son cavalier, un cheval est un capital. Pour dresser un cheval de Haute-Ecole, il faut huit ans ! Lorsque Pauline Cuzent, célèbre écuyère, a traversé le continent en embarquant ses chevaux dans le train pour rejoindre sa famille en Russie, elle dormait avec eux. Le cirque équestre s’est dissout lorsque le cheval a disparu du paysage quotidien. A la fin du XIX°, on a préféré faire muter le cirque vers une forme exotique. A partir des années 1840, un commerce se met en place en Allemagne avec l’entreprise Hagenbeck : des centaines de milliers d’animaux transitent par Hambourg pour rejoindre n’importe quel cirque ou ménagerie dans le monde. Dès lors, il est possible d’acheter n’importe quel animal sur catalogue. En 3 semaines, les animaux sont livrés. Ils peuvent mourir au bout de quelques mois, ce n’est pas un problème car les spectacles rapportent de l’argent et permettent de racheter d’autres animaux. Alors qu’un cheval d’école est quasiment irremplaçable, une otarie, un éléphant, ça se remplace. Le cheval est l’axe, l’ossature, l’élément fondateur du cirque. Au XVIIIe siècle, si le cirque est rond c’est parce qu’il est conçu avant tout pour faire tourner les chevaux.
Lisa Fégné