Le numérique, avenir des monnaies locales ? [Partie 2/2]

En écho à notre épisode du 13 octobre « Monnaies locales : de la Miel mais pas d’abeilles »
(Partie 2/2) D’abord mises en circulation sur papier, les monnaies locales et complémentaires cherchent aujourd’hui à se numériser pour faciliter leur utilisation et attirer un public plus large. Mais le processus a un coût, que certaines associations ne peuvent pas assumer seules.

 

L’année dernière, les dix associations à l’origine des monnaies locales bretonnes ont décidé de s’associer autour d’un projet commun : une monnaie régionale numérique. Deux personnes représentent chaque monnaie locale au sein d’un comité, qui se réunit une fois par mois. « Cette monnaie commune nous permettrait de travailler à une autre échelle, avec les réseaux associatifs de la région » s’enthousiame Cédric André, co-fondateur du Galais, la monnaie du pays de Ploërmel en Bretagne. Il poursuit : « et pourquoi pas subventionner des CCAS (caisses centrales d’activités sociales) pour aider les publics en difficulté ». En unissant leurs trésoreries, les associations ont la capacité de financer la numérisation, une solution préférable aux subventions publiques selon Cédric André :

« Cela crée une dépendance, et la dépendance c’est dangereux. On a vu des monnaies locales fragilisées après avoir perdu une subvention. »

 

Le projet, qui pourrait aboutir l’an prochain, en est encore au stade de la réflexion et de nombreux aspects restent encore à déterminer, à commencer par le nom de cette monnaie régionale. Le fonctionnement n’est pas non plus établi de manière précise. A priori, les monnaies locales devraient rester en papier, et seule la monnaie régionale sera numérique. Cela dit, « certaines associations, notamment Brest et Morlaix, avaient déjà commencé à réfléchir à leur propre numérisation » souligne Cédric André. 

 

Pour les utilisateurs, cela signifierait donc jongler entre les euros, leur monnaie locale et la monnaie régionale. Pour simplifier les choses, « peut-être qu’un système pourrait leur permettre, si besoin, de convertir leur monnaie locale en monnaie régionale » s’interroge Gersan Moguérou, co-fondateur de la Bizh, la monnaie de l’agglomération de Vannes.

 

Dans le Lot-et-Garonne, l’abeille a réussi à financer sa numérisation grâce à des subventions obtenues par l’équipe de l’écosystème Tera. « C’est un écosystème collaboratif, et l’idée c’est que ceux qui y travaillent touchent un revenu de base payé à 85% en Abeilles. Pour cela il fallait qu’on passe au numérique parce que cela aurait été trop compliqué en coupons » explique Virgine Alix, la vice-présidente de l’association en charge de l’Abeille. Aujourd’hui, les utilisateurs peuvent payer via l’application ou un texto. « Pour l’instant on fait pas mal d’assistance par téléphone, certains utilisateurs ont du mal à utiliser l’application mais ça va venir. »

 

Attirer de nouveaux utilisateurs

 

En développant des versions numériques, les associations espèrent attirer de nouveaux adeptes, notamment « les utilisateurs de smartphones qui s’en servent pour toutes les activités de leur vie, et donc pour payer » note Gersan Mogérou, de l’association de Vannes. Le Basque Iban Carricano espère lui convaincre les jeunes, déjà habitués à utiliser des applications pour faire des virements instantanés : « Pour l’instant on a du mal à avoir des adhérents en dessous de 25 ans. »

 

Une autre étape serait de convaincre les touristes d’adhérer aux monnaies locales le temps de leur séjour. L’association Euskal Moneta a proposé l’été dernier le dispositif « Vacances en Eusko » qui permettait de créer un compte en ligne valable deux mois. « Le bilan est mitigé. Cela veut dire que nous ne sommes pas encore incontournables pour des gens qui viennent dans la région » estime Iban Carricano. L’Eusko, première monnaie locale d’Europe, et toutes ses consœurs, ont encore du chemin à parcourir pour convaincre le public de faire un pas de côté par rapport au système monétaire classique. 

 

Mathilde Lœuille