Le Précis : « Looking for Jacqueline – Comment raconter cette histoire ? »

La mort dans l’indifférence de Jacqueline P. a très vite constitué un sujet pour les rédactions françaises, pour qui les faits divers sont très importants. Que ce soit au niveau local ou national, les médias ont ainsi un double rôle, raconter le drame, et en expliquer les enjeux.

Dans ce quatrième épisode de notre série enquête dédiée à la mort de Jacqueline P. à Libourne, la parole est aux journalistes. De la presse locale et nationale, comment ont-ils traité l’affaire ? Pour répondre à cette question, nous avons interrogé deux confrères sur leur ressenti et leur expérience vis-à-vis de ce fait divers pas comme les autres. Et leur approche, comme c’était attendu, s’opposent. Le premier témoin médiatique, Philippe Bellache, est journaliste pour Sud Ouest. Informé du décès de Jacqueline P. au tout début de l’année 2023, il décida d’interroger lui-aussi les voisins et les commerçants. Comme pour notre enquête, il ressentit autour de lui une forme de culpabilité.  Très vite, Comme les autres journalistes de sa rédaction, Philippe préféra ne pas insister sur l’affaire, dans l’idée de respecter son intimité. « Des gens se sont plaints que cette affaire étonnante ne soit pas évoquée dans le journal. Mais ce sont des choses très intimes, très personnelles. Des questions m’ont agité. On ne voulait pas pointer de responsabilité, n’incriminer personne. Il n’y a pas eu d’autre article, c’était entrer dans une sphère intime. »

À l’inverse, Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux pour le quotidien national Libération avait fait le choix opposé à l’époque. Pour elle, tenter de comprendre la vie de Jacqueline P., c’était une manière de lui redonner une histoire, et son humanité. « Je me suis demandé comment c’était possible de mourir dans ces conditions, dans une des rues les plus passantes de Libourne. Ça pose beaucoup de questions sur les prélèvements, les pensions de retraite, la famille, la société hyper connectée mais ultra solitaire. » En essayant de retracer la vie de la disparue libournaise, la journaliste n’a pas appris grand-chose. Pourtant, Libération lui a bien consacré une double page publiée le 29 mari 2023. Ainsi, elle n’est pas définitivement tombée dans l’oubli. Au moins, en racontant cette histoire, Eva espère avoir pu favoriser une prise de conscience sur le sujet de la solitude des personnes âgées. À titre personnel, elle reste marquée par cette affaire. « Parler de cette histoire dans un quotidien ça permet aux gens de faire plus attention. Ça m’a beaucoup retournée. J’en ai même rêvé. J’étais très attristée. »

Comme pour notre épisode dédié aux pouvoirs publics, cette introspection journalistique a le mérite d’illustrer deux conceptions différentes du journalisme faitdiversier, qui nourrit irrémédiablement un débat sain, et une même déontologie.

Publié le 31 octobre 2023

Crédits photos : Martin Harry