Parfois confrontés aux insultes et menaces dans leur classe, perturbés par des réformes successives et peu soutenus par leur hiérarchie, les enseignants sont fragilisés. Le dispositif de suivi psychologique au rectorat, lorsqu’il existe, est souvent méconnu ou insuffisant.
Martine* a encore du mal à évoquer son burn out. C’est la gorge serrée que l’enseignante de lettres classiques raconte la réforme du bac qui a bouleversé ses cours, « je devais apprendre quelque chose en classe un jour, et dire le contraire le lendemain, je ne trouvais plus de sens à ce que je faisais ». Elle raconte aussi les fausses accusations dont elle a été victime, ces parents d’élève qui se sont plaints qu’elle ne préparait pas bien leur fille pour le bac, « alors que c’était elle qui séchait mes cours » et ceux qui ont affirmé qu’elle avait « sélectionné les élèves pour le traditionnel voyage en Italie » alors que leur enfant n’avait, selon Martine, jamais candidaté pour participer à cette sortie scolaire. Face à ces accusations, l’enseignante n’a pas été défendue par son chef d’établissement, pour qui elle était « coupable d’office ». Martine a tenu jusqu’au voyage en Italie, fin février 2020. « On est revenus début mars. Le lendemain, je n’ai pas pu passer les portes du lycée. Mon mari a du venir me chercher. »
La médecine de prévention lui a alors proposé de contacter la psychologue du rectorat. « C’était vraiment quelqu’un de bien, j’ai eu deux ou trois rendez-vous téléphoniques puisqu’on ne pouvait pas se rencontrer à cause du Covid. » Ensuite, elles ont convenu d’un commun accord que Martine continuerait son suivi avec une psychologue extérieure à l’Éducation Nationale. « Elle a eu l’honnêteté de me dire qu’elle ne pourrait pas m’aider. » Si elle salue la sincérité de la psychologue, elle critique en revanche « la malhonnête de ce service ».
« On y décrit tout ce qui ne va pas dans notre métier, on nous répond « on le sait, on en voit plein qui sont comme vous », mais rien ne remonte » jusqu’au gouvernement.
Convoquée au rectorat
Quelques mois après le début de son arrêt, Martine est convoquée par le rectorat. Elle pense qu’il s’agit d’un rendez-vous pour évoquer une reprise à mi-temps, pourtant « la médecin m’explique que c’est mon chef d’établissement qui a demandé un avis médical parce qu’il croit que j’ai un médecin complaisant et que je suis juste en train de me la couler douce chez moi ». Martine évoque longuement durant l’entretien les difficultés qu’elle rencontre, le manque total de soutien de la part de sa hiérarchie. « Plus tard, quand j’ai eu accès au compte-rendu, la médecin avait juste marqué que mon état justifiait un arrêt médical. Je l’ai vue remplir plein de pages pendant le rendez-vous, et sur le compte-rendu il n’y avait que ça. Ça m’a foutue en l’air. »
L’enseignante a repris les cours à la rentrée, à mi-temps thérapeutique, et cette fois dans un collège. « Je suis contente d’avoir repris, le chef d’établissement et l’adjoint sont très bien. Avec les collègues et les élèves ça se passe bien. » Elle voit un psychiatre tous les mois, une psychologue toutes les six semaines et se rend deux fois par semaine en hôpital de jour. Là-bas, Martine participe à des ateliers de paroles, d’affirmation de soi, de gestion du stress… « Je me suis rendue compte qu’y a pas mal de profs. Certains sont venus me voir après un groupe de parole sur le burn-out. Eux aussi ont été accusés à tort. »
« Le problème vient d’en haut »
Dans son nouvel établissement, Martine a raconté son parcours à ses collègues. « Ils me disent que j’ai été courageuse. Je vois que maintenant ils font plus attention les uns aux autres. Mais le problème vient d’en haut. » Elle tient à saluer la bienveillance de l’équipe du rectorat, d’ailleurs elle a essayé de recontacter la psychologue en septembre dernier « mais là, c’est elle qui était en burn-out ». Pour que la souffrance de certains enseignants soit entendue, il faut davantage « qu’un questionnaire sur le bien-être au travail, distribué une fois de temps en temps » selon Martine. Elle s’interroge sur la capacité d’écoute du gouvernement :
« On a un ministre qui veut juste payer le moins de gens possible. Mais ça reste important que l’on témoignage auprès du rectorat. Comme ça, ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas ».
* Le prénom a été modifié à la demande de l’interlocutrice. Pour des raisons d’anonymat, sa localisation n’est pas non plus donnée.
Mathilde Loeuille