Le suivi psy doit encore faire ses classes (Partie 1/2)

Parfois confrontés aux insultes et menaces dans leur classe, perturbés par des réformes successives et peu soutenus par leur hiérarchie, les enseignants sont fragilisés. Le dispositif de suivi psychologique au rectorat, lorsqu’il existe, est souvent méconnu ou insuffisant.

 

« Personne n’a oublié. Cela nous rappelle combien le beau métier d’enseigner est au cœur de la nation, de notre pacte pour nos enfants et pour nous tous. » Dans son discours de rentrée, Emmanuel Macron rend hommage à Samuel Paty, enseignant assassiné en octobre 2 020. Le texte est solennel, mais il est prononcé en tenant un portrait de ses « amis McFly et Carlito », car le Président s’était engagé à relever un défi lancé par les deux youtubeurs. La mise en scène est mal passée auprès des enseignants et Rémi Girard, le président du syndicat des personnels de l’Éducation Nationale a rapidement réagi sur Twitter : « Nous souhaiter une bonne rentrée avec un hommage à Samuel Paty tout en tenant le portrait de McFly et Carlito dans ses mains, je trouve ça monstrueux ».

Une vidéo perçue comme un nouveau pied de nez à une profession qui ne se sent pas soutenue au quotidien. En 2018, de nombreux enseignants dénonçaient déjà le manque de soutien de leur hiérarchie à travers le hashtag « pas de vague ». La situation ne s’est pas améliorée trois ans après.

Même si un numéro vert a été mis en place après l’assassinat du professeur d’Histoire-Géographie, « Je ne suis pas sûr que les collègues se soient tournés vers ce numéro » lance Arnaud Lacombe, le co-secrétaire départemental du syndicat SNES-FSU en Gironde. « Ce n’est pas dans notre culture professionnelle d’exprimer les difficultés. Le sujet des insultes et violences sur le personnel commence à peine à émerger. » Il explique qu’il n’y a pas de psychologue du personnel en Gironde : « Un recrutement était en cours il y a un ou deux ans mais nous n’avons pas eu de nouvelles. C’est le mystère de notre institution », mais il souligne que la mutuelle des enseignants, la MGEN, propose de prendre en charge un certain nombre de consultations dans des cabinets extérieurs à l’Éducation Nationale.

 

Affiche de la MGEN dans la salle des professeurs d’un collège

Le SNES-FSU essaie de faire en sorte que la parole se libère sur le mal-être au travail, que les enseignants osent en parler, mais la tâche est ardue car ils ont souvent été refroidis par le comportement de leur chef d’établissement. « S’il y a un problème en classe, des insultes par exemple, la hiérarchie va dire au collègue que c’est lui qui enseigne mal. Donc il a honte et il ne va pas oser en parler. » Les personnes interrogées dans cet article évoquent toutes le manque de soutien de leur direction. L’expression « pas de vague » revient régulièrement : leurs supérieurs demandent aux enseignants de ne pas se plaindre. Contacté, le rectorat de Bordeaux n’a pas donné suite à nos sollicitations.

 

Mal préparés à gérer les difficultés

 

« Pendant notre master, on n’a pas du tout reçu de conseils. On est poussé à travailler toujours plus, mais on ne nous apprend jamais à prendre soin de nous » déplore Louise*. Cette jeune maîtresse des écoles a déchanté avant même la fin de la formation. « On te fait croire que tu vas avoir ta classe à toi, et finalement quand les premières affectations arrivent, la plupart des instituteurs se retrouvent à cheval sur plusieurs écoles, et plusieurs niveaux ». Et aucun cours ne les prépare à cela. « Heureusement qu’ensuite on a des collègues dans les écoles, ça nous permet de décompresser et d’avoir des conseils. »

Sylvie*, elle, n’a pas réussi à s’y faire. L’enseignante, qui fait des remplacements depuis une vingtaine d’années, est déjà en larmes lorsqu’elle nous répond au téléphone. Elle est arrêtée depuis un an pour dépression. « J’ai craqué quand on m’a envoyée à 50 kilomètres de chez moi pour travailler avec une classe de Segpa, puis on m’a donnée un CM2 alors que je suis faite pour la maternelle. » Sylvie ne s’est pas encore renseignée sur les possibilités d’accompagnement psychologique proposées par l’Éducation Nationale : « Je n’ose pas appeler le rectorat, j’ai trop peur de perdre mon travail. »

Au-delà de cette appréhension, il y a un manque de connaissance sur l’existence de ce service. « Pendant notre formation, la mutuelle MGEN passait parfois distribuer des tracts en nous disant qu’ils étaient là si on avait besoin de parler… Mais on a jamais eu une réunion pour nous expliquer concrètement ce qui existe. », explique Louise.

 

Porter le malheur des enfants

 

Pourtant, elle se dit que cela lui ferait du bien de parler à un psychologue. Avec ses différentes classes, elle gère 70 enfants sur la semaine.

« Ils ont chacun leur histoire, leurs joies et leurs peines et ils partagent tout avec moi parce que je suis leur adulte référente. Leurs petites joies peuvent me rendre heureuse mais je me prends aussi leur malheur en pleine face. Je vois des enfants maltraités, abusés à la maison, malheureux. Je vois le pire de l’humanité parfois. »

Une fois sa journée terminée, Louise ne veut pas partager ces histoires avec ses proches, qui « ont aussi eu leur journée et sont fatigués ». Alors elle garde tout pour elle, mais elle sent que cela la ronge. Elle aimerait donc se tourner vers un professionnel qui l’aiderait à prendre du recul.

Martine*, de son côté, s’est tournée vers la psychologue de son rectorat lorsqu’elle a fait un burn-out. Après deux ou trois séances, elle a décidé de continuer le suivi avec un autre psychologue, extérieur à l’Éducation Nationale, car « il y a une hypocrisie dans ce service. On fait part de nos difficultés mais rien ne remonte ».

Retrouvez son témoignage dans la deuxième partie de notre article.

 

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des interlocutrices.

Mathilde Loeuille

Crédit photo : Katerina Holmes – Pexels