Pénurie de papier : mangas et BD en première ligne

Les libraires bordelais préparent les fêtes de fin d’années dans un contexte de pénurie mondiale de papier. Alors pour éviter les ruptures de stock avant Noël, certains stockent au maximum.

Plusieurs centaines d’exemplaires du manga « Tokyo Avengers » s’empilent sur les étagères de la librairie Krazy Kat, au centre-ville de Bordeaux. Fraîchement livrés et sortis des cartons, ils vont aller rejoindre le reste du stock. « On a aménagé la pièce du fond et l’étage, et acheté des étagères et bibliothèques » détaille Célia, l’une des salariées de cette librairie spécialisée dans les mangas, comics et bandes dessinées. La pénurie de papier complique les rééditions, alors pour éviter les ruptures de stock avant les fêtes de fin d’année, elle a vu les choses en grand au moment de passer commande : « Quand une série est disponible, je la commande en 150 exemplaires, au lieu de trente d’habitude. »

 

Les libraires dans le flou

 

Ici, la pénurie a commencé à se faire vraiment sentir en février, même si Célia explique qu’elle a démarré après le premier confinement : « Après l’arrêt de l’activité pendant deux mois, les éditeurs ont relancé leur catalogue et demandé des impressions ou réimpressions. » Mais en parallèle, le stock de papier ne suit pas. La production de pâte à papier a été freinée par la pandémie, le transport maritime de la marchandise tourne au ralenti, et le papier est de plus en plus demandé pour produire les cartons destinés au Click & Collect. Certains éditeurs, qui n’ont pas assez stocké à l’avance, ne peuvent donc pas lancer les impressions. « Il y a des titres qui n’ont été édités qu’à 75 000 exemplaires alors qu’il en aurait fallu 300 000 ».

 

Julia Pénigaud est responsable de la librairie La zone du dehors. Elle rencontre aussi des difficultés : « Cela arrive que des clients commandent un livre, et pendant deux mois je ne le reçois pas. » Elle peine à anticiper « parce que les éditeurs ne nous disent pas quels titres ils vont privilégier ». C’est d’autant plus compliqué que lorsqu’elle passe commande, elle ne peut pas voir quels livres sont en rupture  :

« C’est possible que ce soit marqué « disponible » alors que le titre est en rupture momentanée, c’est juste que le site n’a pas été mis à jour. C’est quand je reçois les cartons que je vois ce qui manque. Si je savais à l’avance quels livres vont tomber en rupture de stock, je doublerais mes commandes ».

Même incertitude du côté de la librairie La machine à lire. « Certains éditeurs me disent qu’ils n’auront pas de problème, d’autres me disent le contraire… Donc j’ai pris mes précautions sur certains titres », détaille la directrice, Pamela Ferra-Cabrillat.

 

Pas d’inquiétude pour les prix littéraires

 

Elle ne s’inquiète pas pour les prix littéraires, comme le Goncourt ou le Renaudot : « Je pense que s’ils doivent faire des choix, les éditeurs sacrifieront d’autres livres mais pas ceux-là ». Un avis partagé par Emmanuelle Robillard, directrice de la librairie Mollat. De son côté, elle affirme ne pas rencontrer de problème particulier : « J’ai passé mes commandes pour Noël dès cet été, comme d’habitude, et j’ai eu tout ce que je souhaitais ». Le seul bémol concerne les sacs en papier distribués aux clients lors du passages en caisse : « Mon fournisseur m’a prévenue qu’à cause de la pénurie, ses tarifs vont augmenter. Il m’a donc conseillé de passer une grosse commande avant l’augmentation ».

Chez Krazy Kat en revanche, l’ambiance est plus fébrile. Selon Célia, « les libraires vont vivre un Noël comme ils n’en ont jamais vécu, ça va être la course à celui qui a le mieux stocké à l’avance ». Elle incite les clients à acheter leurs cadeaux sans tarder. Le marché du manga est fortement touché par la pénurie de papier, et ce au moment où la demande décolle : « Le secteur a connu une hausse de chiffre d’affaires de 120% cette année ». Depuis le premier confinement, de nouveaux lecteurs se sont rajoutés aux clients fidèles. Les libraires passent donc de plus grosses commandes, « mais les réimpressions prennent du temps, et cela créé encore plus d’attente du fait de la rareté ». Un cercle vicieux dont il sera difficile de sortir tant que le papier manquera.

Mathilde Loeuille