Prisonniers basques :  « Le parquet antiterroriste doit accepter de changer de regard »

En écho à l’épisode : « Dix ans d’Aiete : quel bilan pour la paix ? »

Bake Bidea est un mouvement civil pour la paix au Pays basque, lancé en octobre 2 012, qui a récemment organisé trois jours de rencontres internationales à l’occasion des dix ans de la conférence d’Aiete. Le 8 janvier prochain, Bake Bidea mènera avec une autre organisation, les Artisans de la Paix, une manifestation à Bayonne en soutien aux prisonniers basques.
Entretien avec Anaiz Funosas, la porte-parole du mouvement.

 

Podcastine : Aujourd’hui, combien de Basques sont détenus pour leurs liens avec l’ETA ?

 

Anaiz Funosas : Il y en a 24 en France. Au total, si l’on compte les prisonniers en Espagne, ils sont un peu plus de 200. Pendant plusieurs années, ils ont été dispersés sur les deux territoires, certains se sont retrouvés à 1 100 kilomètres de leur famille. Du côté espagnol, il y a un fonctionnement par grades qui fait qu’un prisonnier doit changer de grade pour accéder aux demandes de libération conditionnelle. Or pendant longtemps, les prisonniers basques ont été maintenus au premier grade, donc aux conditions les plus strictes de détention. Mais ces derniers mois, il y a eu un mouvement important.

 

Sur le plan des rapprochements notamment ?

 

Oui, tous les prisonniers basques en Espagne ont été rapprochés de Madrid. Une soixantaine est maintenant emprisonnée au Pays basque sud. Une minorité a également réussi à accéder au troisième grade, qui permet de demander la liberté conditionnelle.

En France, les hommes ont été rapprochés le plus possible, sachant que le Pays basque nord n’avait pas la capacité carcérale de les accueillir. En revanche pour les cinq femmes emprisonnées, aucun rapprochement n’a été possible, car très peu de centres accueillent des femmes.

Ces rapprochements ont été permis par un dialogue mis en place en octobre 2 017 entre les élus et représentants de la société civile basque, et les services de l’État. Il a fallu plusieurs années de discussions alors que l’on parle d’un droit, c’est dire la complexité de la tâche.

 

Quelles sont les prochaines étapes ?

 

La question est de savoir comment entrer vraiment dans une phase résolutive. Les parquets nationaux antiterroristes, en Espagne et en France, restent figés dans le temps et refusent de changer de regard alors qu’au Pays basque, nous nous demandons comment créer le dialogue pour comprendre le passé, comprendre comment un conflit armé a pu exister sur le territoire. Il faut rappeler que l’ETA a rendu les armes avant de se dissoudre d’elle-même, et tout cela sans conditions. L’organisation a demandé le dialogue et s’est retrouvée face à la politique de la chaise vide, dans les deux pays. Les gouvernements jouent le jeu dangereux du piétinement.

En France, deux septuagénaires emprisonnés depuis plus de 31 ans ont vu leurs demandes de liberté conditionnelle refusées. Le premier en est à sa sixième demande. Le deuxième est en attente d’un passage en cassation. En fait les juges d’application des peines acceptent, mais le parquet national antiterroriste fait appel. C’est un peu incompréhensible pour nous.

S’il leur arrive quelque chose en prison, du point de vue du Pays basque il n’y aura qu’un responsable, et il est au sommet de l’État.

Au G7 de 2 019, le Président Emmanuel Macron avait salué le travail pour la paix effectué par les élus locaux. Il parlait de « combattants », de « processus de paix », disait que c’était le devoir de l’État d’accompagner ce processus. C’était la première fois que l’on entendait un Président parler en ces termes. Mais finalement, il n’est pas à la hauteur.

 

Propos recueillis par Mathilde Loeuille

Crédit photo : Bake Bidea