Rémy Garnier : pressions et dépression d’un lanceur d’alerte

EN ECHO A NOTRE EPISODE DU3 JEUDI 15 JUILLET : « Rémy Garnier, le paria qui fit chuter Cahuzac »

Inspecteur des impôts, Rémy Garnier est connu pour avoir épinglé Jerôme Cahuzac et plus globalement avoir soulevé des « lièvres » encombrants pour sa hiérarchie et les pouvoirs locaux dès 1999. Jusqu’en 2012, année durant laquelle l’affaire Cahuzac éclate au grand jour, il subira pressions, mises au placard, dépression…

On le surnomme Columbo dans la profession. « Sans doute autant pour mon imper que pour mes résultats de vérificateur » s’amuse Rémy Garnier. Sans doute aussi parce que le fonctionnaire fiscal est réputé pour « aller jusqu’au bout et ne jamais reculer » lorsqu’il a affaire à des personnalités : « On me donne les dossiers sensibles, là où personne ne veut aller » annonce-il en redressant ses lunettes rectangulaires vers ses yeux bleus, dans un portrait-documentaire diffusé en 2016 et réalisé par Mediacoop. Plus jeune, jamais l’idée ne lui était venue de travailler aux impôts, il s’inscrit au concours de la fonction publique fiscale de l’École Nationale des Impôts de Clermont-Ferrand, après deux années de droit. Du plus loin qu’il s’en souvienne, la justice fiscale l’a toujours animé : « C’est mon éthique, je devais œuvrer en ce sens. »
Tout commence à la fin de l’année 1998. L’agent du fisc vient alors de prononcer un redressement fiscal de 450.000 euros à l’encontre de la coopérative France Prune, leader dans le secteur du pruneau. «Une figure de proue de l’agriculture départementale», selon le quotidien régional Sud Ouest. L’entreprise est basée à Casseneuil, non loin de Villeneuve-sur-Lot, ville dont Jérôme Cahuzac était alors le député, avant d’en devenir le maire en 2001. L’élu est intervenu, selon les informations de « Columbo » auprès de Christian Sautter, ministre du Budget de Lionel Jospin, pour obtenir l’annulation du redressement. Une demande satisfaite dès janvier 1999.

« J’avais pour ordre de m’aligner sur la décision du ministre, sans avoir participé à l’enquête »

Au départ, des comités de soutien intersyndicaux – de l’extrême gauche au centre droit – se forment pour le défendre. Mais très vite, le vent tourne. Une ancienne militante CGC (Syndicat au service de l’encadrement), Marie-Pierre Cahuzac – sans aucun lien de parenté avec Jérôme Cahuzac-, refuse de venir témoigner en la faveur de Rémy Garnier lorsqu’il sera traduit devant le conseil de discipline.

« Il est marrant d’observer qu’après ce refus, elle a connu une profession de carrière fulgurante : inspectrice principale, directrice divisionnaire… »

ironise-t-il avec cynisme. Pour lui, le message était clair : le directeur des impôts de Bordeaux a convoqué les personnes qui le soutenaient pour les menacer.

« Il a dû leur dire :  »vous êtes jeunes, vous avez une brillante carrière devant vous. Pourquoi vous encombrer avec le dossier Garnier ». Et ceux qui ont laissé tombé ont été promu. »

Entrave à l’exercice de ses fonctions

Après avoir rédigé des notes pour dénoncer des dysfonctionnements, qu’il s’agisse de comportements de sa hiérarchie « contraires à la déontologie du fonctionnaire » ou d’anomalies dans des dossiers fiscaux, il est dénigré par ses supérieurs. Piqué au vif, il diffuse ses notes auprès de ses collègues. Ce qui lui vaut d’être attaqué pour violation du secret professionnel et refus d’obéissance.

« Plus grave qu’une mise au placard, je suis traduit devant un conseil de discipline, par le directeur Jean-Georges de Roche, qui décide de ma révocation définitive et sans traitement »

Une décision qui le sanctionne d’une année sans poste et sans maintien de salaire.
Il réintègre les services après avoir purgé sa sanction et se voit informé par un ami de l’existence d’un compte ouvert par Jérôme Cahuzac en Suisse auprès de HSBC-Genève. Un enregistrement en atteste. Bien qu’il ait réintégré sa brigade le 13 juin 2006, il ne bénéficie pas de réels moyens pour travailler. « Je devais me battre pour avoir accès à un logiciel professionnel » Il faut attendre novembre de la même année pour que l’inspecteur des finances obtienne Adonis, un logiciel de consultation des dossiers fiscaux des contribuables.

« J’ai tapé Jacques Chirac, pas d’accès. François Hollande, pas d’accès. Par contre, pour Jérôme Cahuzac9, les données étaient accessibles ! »

Les informations intégrées dans le logiciel indiquent des anomalies multiples concernant les revenus et les charges.

« Normalement, ce genre d’indications devraient éveiller la curiosité de ma hiérarchie. Mais il n’en était rien. »

Dépression réactionnelle

A la place, une procédure disciplinaire est engagée contre le lanceur d’alerte. Accusé d’abus de fonction et de consultation de dossiers sans en avoir le droit, il est sommé de se défendre.

« Là, je commence à fatiguer lourdement. J’ai des ennuis de santé répétés donc je suis tantôt en poste, tantôt en arrêt maladie. »

En « dépression réactionnelle » du fait d’un environnement de travail néfaste et malhonnête, il est de plus en plus seul. Ses soutiens au sein de la profession sont soit mutés, partis en retraite, promus ou décédés. Comme si la situation n’est pas déjà assez lourde, il fait l’objet d’un contrôle fiscal. Épuisé par ces procédures, il indiquera en conclusion d’ un mail adressé à sa direction :

« je ne supporte plus cette situation, j’ai décidé d’y mettre un terme. »

Pensant que Rémy Garnier était capable de mettre fin à ses jours, sa direction lui attribue un assistant social, entre autre pour se balader, faire du tourisme, sur ses heures de travail. « Ils étaient aux petits soins ! »
Dans le portrait-documentaire de Mediacoop, il admet avoir évalué la possibilité du suicide dès son premier placard.

« J’ai évalué la situation et j’ai réalisé que je ne pourrais plus me défendre et porter la vérité si j’étais mort ou tétraplégique. »

Au plus bas

Le plus dur restait encore à venir. Lorsque l’affaire Cahuzac éclate, l’opinion est unanime contre lui. Après les révélations, Christiane Taubira refuse de lui répondre, le Président du Tribunal le traite de « délateur » et il est attaqué par L’Observateur ou encore Le Canard Enchaîné. « Là, j’étais au plus bas. »
Après 23 procédures administratives et 10 procédures pénales, « Columbo » en sort vainqueur. Toutes les sanctions de l’administration sont annulées et le tribunal ne le condamne pas.

Dans une tribune publiée mercredi 14 juillet dans Le Monde, un collectif de responsables syndicaux et d’associations ont appelé les pouvoirs publics à renforcer la loi relative aux lanceuses et lanceurs d’alerte, afin de mieux les protéger ainsi que la liberté d’informer. Il en va d’un « impératif démocratique »

Crédit photo : Magali Maricot 

                                                                                                                             Lisa Fégné