En écho à notre épisode « L’appel à l’aide du planning familial de Gironde »
En milieu rural, les femmes victimes de violences conjugales sont souvent isolées, parfois privées de moyen de transport. Dans des villages où tout se sait, briser le silence et porter plainte est un parcours semé d’embûches.
Véronique Perrais-Philippe, conseillère conjugale et engagée depuis longtemps dans des associations de soutien aux femmes victimes de violences conjugales, se rappelle la fois où l’épouse du maire d’un village normand a voulu porter plainte contre son mari : « Les gendarmes ont refusé de prendre sa plainte ! Alors j’y suis retournée avec elle, et ils ont finalement accepté. » Les situations sont parfois ubuesques. Émilie, de l’association Cœurs de guerrières, se souvient d’un jour, pendant le premier confinement, où elle s’est rendue au commissariat avec une femme qui avait fui son conjoint violent : « On nous a répondu qu’ils ne prenaient pas les plaintes pour violences conjugales en période de confinement ».
La bénévole poursuit : « Derrière l’uniforme, il y a un individu avec ses convictions ». Des convictions qui ne sont pas forcément favorables aux victimes, « et c’est encore pire en milieu rural ». Elle souligne tout de même le travail de certains gendarmes, mais affirme qu’il y a un problème systémique : « et, il faut le dire, un problème de corruption. Si monsieur a beaucoup de relations dans le coin, il aura moins de problèmes. »
Les associations alertent sur ces problématiques depuis plusieurs année. Pourtant, deux ans après le Grenelle des violences conjugales en 2019, la situation n’évolue pas. Le gouvernement a annoncé l’expérimentation du dépôt de plainte en dehors de la gendarmerie, chez un tiers. Dans ce cas, ce serait aux gendarmes de se déplacer. « Mais rien ne dit que ceux qui vont venir seront formés », poursuit Émilie. Véronique Perrais-Philippe évoque aussi une formation nécessaire : « Policiers et gendarmes parlent encore trop souvent de conflits amoureux, comme si les deux personnes s’accommodaient d’une relation un peu tumultueuse. C’est insupportable. »
Faire parvenir les informations
L’association Cœurs de guerrières refuse d’utiliser des subventions de l’État, « parce que ça voudrait dire qu’on est d’accord avec leur politique ». L’association, portée par d’anciennes victimes de violences conjugales, fonctionne grâce à des adhésions ou des dons de personnalités publiques.
« De plus en plus, des associations subventionnées font appel à nous car nous pouvons agir plus rapidement. De leur côté, elles doivent d’abord passer chaque dossier en commission avant de pouvoir débloquer des fonds ».
Elle cite l’exemple de cette association qui a alerté Cœurs de guerrières en avril dernier, pour une jeune femme en danger de mort, qui vivait cloîtrée chez elle avec sa fille de cinq ans. Émilie et les autres bénévoles ont organisé leur départ, contacté des écoles et payé un logement pendant six mois. « Aujourd’hui, la jeune femme travaille et sa fille est scolarisée. »
L’association est très présente sur les réseaux sociaux, où elle anime notamment un groupe de paroles. Mais il ne faudrait pas imaginer qu’Internet est la solution miracle pour apporter de l’aide, à distance, aux femmes isolées à la campagne : « Si elles vivent avec un bourreau, il va tout contrôler, notamment les réseaux sociaux. » Reste alors à faire parvenir les informations autrement. L’association #NousToutes a lancé en mai dernier une campagne nationale, pour que le 3919 et un violentomètre soient affichés sur les sachets des baguettes de pain, dans les boulangeries. Sur le même principe, Véronique Perrais-Philippe voudrait que le 3919 soit inscrit sur les bulletins municipaux : « Ils arrivent par courrier et entrent donc dans tous les foyers. Et le conjoint ne pourra pas reprocher à la femme d’avoir un bulletin municipal ou une baguette, alors qu’il pourrait lui reprocher d’avoir la brochure d’une association, par exemple ». En plus du 3919, les CIDFF de Nouvelle-Aquitaine assurent une permanence téléphonique du lundi au vendredi, matin et après-midi, et l’association Cœurs de Guerrières propose un service d’écoute 24h/24.
Mathilde Loeuille
Crédit photo : Alexandra Kiaz/Unsplash