Viols dans le sport : l’injonction au silence

A la suite de la découverte d’abus sexuels et psychologiques commis par un entraîneur d’un club d’athlétisme de Poitiers, Estelle Le Roux a fondé l’association ADAMS. Retour sur les pressions exercées pour pérenniser la culture du silence.

« Elle s’était habillée comme lui. Même sac à dos, même survêtement. C’est là que j’ai compris : il possédait son corps ». En 2012, lorsqu’ Estelle Le Roux découvre les messages de séduction à connotations sexuelles – envoyés tard les nuits de semaine – sur le téléphone d’une enfant proche de son entourage, âgée de 15 ans à l’époque des faits, elle décide de le signaler à un responsable du club. Pensant pouvoir trouver soutien, explications et protection pour la jeune fille abusée. A la vue des messages, le responsable considère que la situation n’est qu’ « un jeu qui finira par s’arrêter ». Une scène qui n’est pas sans rappeler le comportement de la Fédération française d’équitation qui a porté plainte pour diffamation à l’encontre de la cavalière Amélie Quigénier, laquelle avait déposé plainte pour viol à l’encontre de son entraîneur. Une situation juridique surréaliste à laquelle Podcastine consacre un hors-série : « Amélie Quéguiner, violée et poursuivie par sa fédération ».
Très attachée à l’idée de poursuivre ses cours d’athlétisme en classe de sport-études au lycée, l’adolescente qu’Estelle Roux a tenté d’aider demande ensuite à ses parents d’aller vivre chez son coach. Ils acceptent. Amputé de son autorité parentale, le couple rend visite à sa fille durant ses entraînements. Dès que les parents foulent le sol du terrain, « il organise une forme de ronde autour d’elle pour qu’on ne puisse pas lui parler » assure la mère. Plus tard, alors que l’adolescente s’est blessée à la cheville et que son entraîneur souhaite qu’elle poursuive les entraînements malgré sa blessure, contre l’avis des parents, il leur lance : « vous êtes une enclume, une honte pour votre enfant ». Un discours décrédibilisant d’autant plus l’autorité parentale qu’il était prononcé devant la jeune fille, pérennisant ainsi l’emprise que l’encadrant sportif avait sur elle. En enquêtant sur les abus sexuels et viols commis sur d’autres adolescentes, Estelle Le Roux découvre l’ensemble des stratégies mises en place pour séduire de jeunes lycéennes.

« Tout le monde savait »…

D’abord, la flatterie. A la fin des cours de sport, l’encadrant s’adresse seul à la jeune fille, en lui plaçant quelques mots doux : « tu es la meilleure, tu es la plus belle ». « Cela peut paraître anodin mais l’entraîneur plaçait sa  »favorite » à l’avant de la voiture lorsqu’il amenait les filles aux entraînements ou lors d’autres déplacements » atteste Estelle Le Roux. Ensuite, viennent les cadeaux qui donnent l’impression à la lycéenne d’être « l’ élue ». Les entraînements se multiplient, en dehors des horaires classiques. Quant aux matchs, lors des déplacements, des bizutages sexuels sont relevés dans le bus. La nuit, dans les établissements d’hébergement, certains entraîneurs entrent dans les chambres des filles, parfois nus, selon les témoignages relevés par des parents d’élèves. Et puis, peu à peu, l’isolement : plus de famille, plus d’amis. A ce propos, un magistrat avec qui Estelle Le Roux échange a déclaré être face à « une secte, avec un gourou central ». Parfois, souvent, la relation se solde par un concubinage et une vie de couple au sein d’un foyer, alors que l’adolescente reste mineure : « Il y avait une autre jeune fille qui vivait chez son entraîneur. Lequel était marié. Et pourtant la relation de l’adolescente et de l’encadrant était connue. Tout le monde savait ». Tout le monde savait mais -presque- tout le monde s’est tu.

En enquêtant sur les comportements déplacés que les entraîneurs avaient pu avoir à l’encontre de jeunes lycéennes, selon les témoignages récoltés, Estelle Le Roux a pris conscience « du nombre de personnes qui étaient au courant ». Elle explique : « sur huit entraîneurs, quatre ou cinq étaient déjà informés des comportements déviants de tel ou tel encadrant ». Un perchiste lui aurait même dit qu’un des lycées de Poitiers était un « réservoir à gamines » et qu’ « il ne fallait surtout pas réaliser de déplacements avec tel ou tel entraîneur ». Sur le ton du regret, cet homme confesse à une mère d’élève : « j’aurais dû vous prévenir pour votre fille ».
Un autre parent d’élève, mis au courant des abus sexuels et de pouvoir commis sur sa fille, a d’abord incité celle-ci à porter plainte, laquelle a peu de chances d’aboutir si elle est déposée par un tiers. Ce père de famille, qui avait constaté « qu’on lui tournait autour au moment de la déposition », s’est finalement rétracté et a vivement recommandé à d’autres parents d’élèves, dans la mesure où ils étaient désireux de récupérer leurs filles, d’arrêter de réaliser des démarches juridiques à l’encontre de ces entraîneurs. Pour la présidente de l’ADAMS, les parents-témoins sont « tenus par l’argent et la notoriété, on exerce sans doute sur eux une forme de chantage » car Poitiers demeure une vitrine des pratiques sportives.
Une autre lycéenne mineure a été contrainte d’avoir des rapports sexuels avec son entraîneur. Lorsque les faits ont été signalés à la hiérarchie, un responsable du club a refusé qu’elle change d’entraîneur. Parce qu’elle n’était pas suivie par les autres lycéennes dans sa plainte, elle s’est rétractée au moment de rédiger son témoignage. Au départ déterminée à déposer plainte, elle a fait savoir à l’association que ses « propos avaient été mal compris » et qu’elle était « amoureuse de cet entraîneur ». Aujourd’hui jeune femme, cette victime non-reconnue a arrêté le sport et ne souhaite plus en entendre parler.

Nombreuses ont été les victimes à avoir passé la porte de l’association ADAMS et à avoir exprimer les comportements abusifs des entraîneurs mais aucune n’a pu porter plainte à ce jour. D’autant que « l’un des entraîneurs était policier et l’enquête a été confiée à la police, malgré notre demande de voir confier cette enquête à la Gendarmerie » regrette une mère d’une des victimes, avant d’ajouter : « lorsque je me suis rendue à la gendarmerie, un agent m’a expliqué que si ma fille était un cas isolé, ce n’était même pas la peine ».

Malgré la myriade d’obstacles se tenant entre le dépôt de plainte pour viol et les victimes et leurs familles, l’ADAMS garde l’espoir que la parole se libère et avec elle que les hiérarchies en place soient changées.

 

Crédit photo: Pixabay

                                                                                                                 Lisa Fégné