EN ÉCHO À NOTRE ÉPISODE DU 28 JUIN : « Moi, Nicolas, supporter heureux (et aveugle) des Girondins »
Audiodescripteur bordelais, William Sessa explique les raisons de son orientation professionnelle.
Italien d’origine, William Sessa a posé ses valises à Bordeaux, à la suite d’une année d’Erasmus passée à Paris. Passionné de cinéma et d’art et touché par les conditions de non-accessibilité à l’art pour les personnes malvoyantes et malentendantes, il a trouvé sa voie professionnelle dans l’audiodescription. Ses motivations à la transmission artistique nous rappelle le parcours du supporter aveugle des Girondins raconté par Jean Berthelot de la Glétais dans son article « Le supporter aveugle des Girondins » paru dans la revue papier Far Ouest dans l’épisode de Podcastine « Moi, Nicolas, supporter heureux (et aveugle) des Girondins ». Rencontre avec un amoureux des sons.
Pourquoi vous êtes-vous orienté vers ce métier méconnu ?
William Sessa : Comme tout le monde, je connaissais les sous-titres mais j’en ignorais la démarche. C’est pourquoi, avant d’intégrer mon master en recherche cinématographique à l’université de Bordeaux, j’ai décidé de suivre une formation en audiodescription à Turin, ma ville d’origine. J’ai été attiré par le métier presque de manière instinctive : rendre accessible les cultures et les arts – qu’il s’agisse d’œuvres cinématographiques, picturales ou dessinées – à celles et ceux qui ne voient pas ou qui n’entendent pas de la même façon que nous. C’est sans doute un sentiment d’injustice, animé par cette inégalité, qui m’a poussé dans cette direction professionnelle. Lorsque l’on parle d’accessibilité à la culture, que ça soit en France ou en Italie, on évoque des réformes à réaliser pour les personnes handicapées moteur. C’est très bien ! Ce qui me navre c’est que, partant de l’idée reçue selon laquelle le malentendant n’entend pas et que le malvoyant ne voit pas, on considère qu’elles et ils ne pourront jamais voir ou entendre par d’autres sens. Non seulement c’est réducteur, mais c’est entièrement faux. La première charte d’audiodescription, importée des règles d’audiodescription américaines, a été créée en France en 2011…Dans cette charte, les règles principales relèvent du respect de l’œuvre et du respect de la spectatrice et du spectateur. A l’heure actuelle, la plupart des professionnels de l’audiodescription travaillent dans le cinéma. Pourtant, les personnes malvoyantes et malentendantes se rendent aussi dans les galeries, les musées et aux concerts ! Dans ces secteurs d’activité, il y a un réel manque d’audio-descripteurs. A Bordeaux, dans les musées, les audiodescripteurs, eux-mêmes non-voyants, pouvaient assurer les visites à raison d’ une fois par mois. La personne non-voyante ou non-entendante n’a donc pas la même liberté que nous autres de se cultiver. A Bordeaux, à ma connaissance, il n’y a que la médiathèque qui propose de l’audiodescription : en général, c’est un vieux film qui est diffusé…Les autres cinémas n’auraient qu’à investir 2 000 euros à 3 000 euros pour répondre à ce marché.
En quoi consiste votre profession ? Quelles méthodes utilisez-vous ?
A cette question, j’ai cette phrase d’un collègue qui me vient toujours à l’esprit. Il me disait : « L’audiodescripteur est un conteur d’images ». Nous faisons passer le message de l’œuvre d’art visuelle en voix. Comme on raconte des histoires à des enfants ou entre amis, on raconte une photographie, un film ou une bande dessinée. Pour faire passer le message de l’oeuvre, il y a toujours une règle d’or : donner une idée générale de l’histoire pour laisser la liberté de l’interpréter au spectateur. Il faut toujours lui laisser sa subjectivité. Même si l’audiodescripteur, en décrivant ce qu’il voit, est subjectif dans la manière dont il raconte l’image, il faut toujours tendre à l’objectivité pour que le public puisse s’en imprégner selon ses émotions et sa propre analyse. En travaillant avec la mairie de Bordeaux, je me suis posé la question suivante : « comment puis-je faire pour que l’image et le message que je souhaite transmettre soit bien compris par l’observateur ? » Par exemple, en prenant deux photos d’Apollinaire sous des aspects différents, les descriptions des aspects seront différents, certes, mais ce sont les tous petits détails qui précisent la pensée et c’est bien de ça qu’il s’agit : préciser la pensée, car souvent, les personnes malvoyantes reproduisent l’image que nous lui décrivons avec leurs doigts sur leurs jambes. Nous les guidons pour qu’elles puissent avoir la lecture de l’œuvre la plus proche de la réalité. C’est une sacrée responsabilité que d’être les yeux d’un concitoyen !
Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir passeur de cultures et d’arts ?
Dans ma famille, si personne n’est malvoyant ou malentendant, un de mes oncles maternels, aux qualités littéraires attestées, est devenu handicapé à la suite d’une mauvaise prise en charge d’une maladie. Il était poète. Malgré la lourdeur de sa situation, il a poursuivi, tout au long de sa vie son travail de lettres et, en parallèle, a été l’instigateur d’une association pour les jeunes handicapés moteurs et mentaux. C’était une force de la nature et c’est la personne à laquelle je pense lorsque j’évoque les motivations de mon métier. L’autre pendant de mes motivations demeure vraisemblablement l’accessibilité à l’art et la culture. L’art, c’est la trace de l’humanité. Il exprime notre humanité à une période donnée. Vivant dans une société développée, il serait hypocrite de ne pas se donner les moyens de rendre l’art accessible à toutes et à tous celles et ceux qui le désirent.
Crédit photo : William Sessa
Lisa Fégné