La Nourrice, le land-art du lâcher-prise

Depuis 2015, le village d’Aubiet (32) accueille un nouvel espace : La Nourrice. Pensé comme un jardin-forêt comestible et habitable, il associe nature et culture et tend vers un devenir écosophique.

« Au départ, les habitants d’Aubiet ne comprenaient pas l’utilité du projet ».
Artiste-plasticien et créateur de l’œuvre La Nourrice, Olivier Nattes aura mis trois années – ponctuées de retours à Marseille, sa ville de résidence – pour donner naissance à ce « sanctuaire de la biodiversité, d’alimentation et de retrouvailles ». Soutenu par le Ministère de la Culture, le parcours Art et Environnement du Pays Portes de Gascogne, auquel le plasticien a candidaté, a permis la conception de ce jardin-forêt comestible à Aubiet, commune gersoise d’un peu plus de mille habitantes et habitants.

« Dans le Gers, on constate un appauvrissement constant des sols et de nombreuses forêts sont rasées. Cette opportunité s’est présentée au moment où je découvrais les techniques de permaculture »

Sensible aux effondrements des espèces depuis une dizaine d’années, l’artiste marseillais a souhaité créer un espace où « un autre rapport à l’environnement, plus respectueux, de paire avec la nature » était possible. En prenant part à la création de cet espace de vie nouvelle, les bénévoles d’Aubiet et des communes avoisinantes – venues prêter main forte au créateur naturaliste – ont cultivé l’art du lâcher-prise : au jardin, les tomates tombent et sont recouvertes de paille tandis que les salades montent en graines.

« En Europe, le jardin est carré, très propre. Ici, il y a des buttes de cultures, des mauvaises herbes…on laisse faire la nature ! »

Un projet d’aménagement s’inscrivant dans l’esprit des propositions artistiques naturelles des Landes racontées dans l’article « Le Land art se dévoile en balades dans les Landes et en Gironde » paru sur le site de Rue89 Bordeaux et dans l’épisode de Podcastine «Land art, la culture grandeur nature»

Pour autant, « tout n’est pas merveilleux dans la permaculture » assure, sur un ton ironique, Olivier Nattes. En effet, les aléas climatiques et les risques de moucherons et de parasites pouvant manger les cultures sont d’autant plus réels « lorsqu’on prohibe les utilisations d’insecticides ».

Sur les 6 000 m2 de terrain, situés en plein cœur de village et qui constituent La Nourrice, plus de la moitié représente la surface du jardin, soit 3 800 m2 au total.
Parmi les plants, outre les classiques courgettes et salades, des buissons comestibles tels que des gojis, des groseilles ont été semés. Pommiers, poiriers et amandiers tapissent le sol de leurs racines. Bien qu’ils ne soient « pas comestibles pour nous », des frênes, merisiers et aubépines ont été plantés pour stimuler la biodiversité et répondre aux besoins de la faune présente. Surtout, « ce sont des espèces locales » rappelle le maraîcher en herbe.

L’écosophie, au cœur de la philosophie du projet

En plus des quelque trois cents arbres plantés, un bassin a été construit. Pour Olivier, le plus étonnant reste « la réponse de la nature ». Trois espèces communes de libellules se sont installées autour du bassin dès qu’il a été rempli ! Lui qui n’avait pourtant « jamais fait de jardins » de sa vie, a pourtant été le moteur d’un espace naturel qui tend vers l’écosophie. Un état d’esprit qui, pour lui, « reprend le concept d’écologie sous forme de philosophie de vie ». Si pour le philosophe Félix Guattari, il s’agissait d’une écologie mentale, le premier penseur de ce concept, Arne Naess, considérait qu’il s’agissait d’une manière de vivre avec la nature.

Toujours dans l’idée d’associer nature et culture, Olivier Nattes a conçu, au centre du jardin, un bâtiment de réunion et d’accueil. Construit de bois et de terre, ce « refuge » permet non seulement de conserver les légumes du jardin et du mobilier mais également d’accueillir des ateliers d’écriture, de théâtre, de méditation. « Aubiet est un village dortoir où aucun espace de réunion n’a été aménagé. L’esthétique relationnelle de l’art devait répondre à la nécessité de créer des ponts entre le monde naturel et le monde culturel. J’espère que ce bâtiment les incarne » Cet espace de vie, faisant face au jardin-forêt, a été pensé pour « s’adapter en fonction des besoins de la société. Ce devait être un équipement naturel, social et culturel qui s’inscrive dans une pratique écosophique »

Même si le projet a nécessité « énormément de travail physique et d’investissement personnel » et généré « une extrême fatigue » , c’est avec une tendresse inégalée qu’Olivier se rappelle de « la beauté des moments d’échanges, de convivialité et d’humanité »
Une beauté qui se pérennise grâce à la présence des enfants de la commune : un jour, alors qu’il revenait pour observer la pousse des plants, l’artiste est interpellé par deux d’entre eux. Fiers du jardin, ils lui lancent :

« Monsieur, Monsieur ! Notre grand-mère, elle vient souvient ici ! C’est un jardin qui n’est pas pollué, c’est très rare vous savez. Nous, on vient ici tout le temps, on vous montre si vous voulez ? »

Les deux jeunes garçons lui ont fait faire le tour du propriétaire, comme s’ il ne connaissait pas le projet. La boucle est bouclée.

 

Crédit photo : DR | La Nourrice

                                                                                                                                Lisa Fégné