La presse papier voit ses recettes fondre année après année depuis les années 2000. Pour autant, le paysage médiatique français voit fleurir de nouveaux titres indépendants, aux formats novateurs. Dont celui de deux partenaires de Podcastine, Letype.fr et Far Ouest.
En difficulté financière depuis l’arrivée du numérique dans les années 2000, le secteur de la presse papier d’actualités quotidiennes régionales et nationales voit ses recettes chuter. Pour Patrick Eveno, universitaire spécialiste des médias et président de l’Observatoire de la Déontologie de l’Information, seuls les titres ayant misé auparavant sur le numérique pourront s’en sortir, d’autant plus dans ce contexte de crise sanitaire. Ce modèle économique hybride – alliant numérique et imprimé – c’est celui qu’a choisi La Revue Far Ouest, comme l’avait fait il y a quelques mois un autre de nos partenaires, Letype.fr. Au départ site indépendant d’informations régionales créé il y a 3 ans, il s’est tout récemment lancé dans l’aventure manuscrite. Le premier numéro, baptisé « Courage », a été présenté par Clémence Postis, rédactrice en chef du média, dans l’épisode de Podcastine « Far Ouest, la ruée vers le papier ». Fart Ouest et Letype.fr ne sont pas des exemples isolés. Avec Marie-Christine Lipani, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Institut de journalisme de Bordeaux Aquitaine, (IJBA), retour sur le paradoxe d’un secteur en crise, qui n’a de cesse de se réinventer.
Podcastine: Quelle est la situation économique de la presse papier française en France ?
Marie-Christine Lipani: La presse écrite a toujours été un produit cher à fabriquer, qui ne rapporte pas beaucoup. C’est une industrie lourde : la fabrication et la distribution, entre autres, ont un coût important. Déjà, les recettes publicitaires, cannibalisées par les GAFAM, ont chuté. Le manque de recettes s’est poursuivi avec la crise économique liée à la pandémie de Covid-19 et l’arrêt de manifestations culturelles, qui permettaient de faire des recettes avec leurs publicités. Sans oublier, la fermeture des kiosques et les difficultés de Presstalis, principal distributeur de presse en France au printemps dernier. Les médias ont dû trouver des alternatives pour rencontrer leur public, parmi lesquelles le numérique bien sûr. Mais de nouveaux projets de médias papier sont nés ces dernières années. Si les lecteurs s’informent sur Internet, ils ont aussi plaisir à se renseigner sur le monde qui les entoure avec des médias manuscrits, aux écritures nouvelles et aux rythmes et temporalités différents que celui du web. Aussi, n’oublions pas qu’en France, nous avons toujours cultivé notre rapport au papier : la fiche de paie, par exemple, a toujours été manuscrite. Il y a un réel attachement au papier. A l’arrivée des livres numériques, les livres imprimés n’ont jamais été effacés de nos habitudes de lecture. Le livre ou le magazine, on l’ouvre et on le ferme au gré de nos envies. Avec le papier, nos sens sont activés : on voit, on touche l’information.
A quelles envies et besoins des lectrices et lecteurs répondent ces nouveaux formats papiers de presse ?
Les formats papiers longs permettent de sortir de l’actualité chaude et de la temporalité instantanée des réseaux sociaux. En sortant de l’agenda institutionnel, ces médias rendent compte de la complexité du monde autrement. Il y a une exigence de la part des amateurs de presse papier : ils recherchent des sujets plus approfondis, du décryptage. Le slow-journalisme par exemple, qui consiste à prendre le temps de raconter un événement ou un fait de société, laisse plus de place à de l’enquête, du reportage et donc du terrain. En sortant du traitement superficiel, c’est une façon de réaffirmer le journalisme tout en repositionnant le lectorat au centre de celui-ci. Néanmoins, il est important de comprendre que les pratiques ne sont pas à opposer, elles sont complémentaires : dans un cas, tels types de médias vous donnent du savoir de l’instant, dans l’autre, il vous accompagne dans la durée dans des univers dont potentiellement vous ne soupçonniez pas l’existence.
Pour se pérenniser, vers quels modèles économiques les média papiers à venir peuvent s’orienter ?
Ils sont très variés ! Ils peuvent s’inscrire dans un modèle publicitaire, avec des financements participatifs ou sous formes d’abonnements. Au-delà du modèle économique, j’aurais tendance à affirmer que pour qu’un média s’inscrive dans la durée, il doit respecter le contrat de lecture. C’est-à-dire que la promesse éditoriale doit être tenue. Le journal L’Hebdo n’a pas tenu à cause de ça, selon moi. Il faut rencontrer son public et s’y tenir pour asseoir la pérennité du modèle économique. La difficulté réside donc à conserver son public, le fidéliser. Il ne faut donc pas trahir les promesses éditoriales annoncées à la création du média. Sinon, sa rentabilité ne sera pas maintenue. Chaque projet doit être identifié comme différent : Society est connu pour son ton décalé, le 1 à la fois pour son format mais aussi pour le fait d’aborder une seule thématique avec différents regards. La presse papier n’est pas morte, elle est en phase de repositionnement. Le public nourrit un véritable intérêt pour l’information. Les jeunes n’ont pas arrêté de lire sur papier ! Ils cherchent seulement de la plus-value.
Quelle est l’expérience sensorielle qui vous a le plus marqué avec un journal ou un magazine ?
L’hebdomadaire le 1 est un véritable objet ! On le plie, on le déplie, on le tourne, on l’accroche comme une affiche. C’est comme un jeu, on le regarde différemment selon le placement des sujets traités : il a différentes portes. J’ai grandi avec le réflexe d’aller acheter le journal, de le toucher. Et puis, je suis une grande fan de bandes dessinées ! Je passe mes mains sur les couleurs…Si avec les coûts d’impression, les médias papiers sont sans doute en voie de raréfaction. Peut-être que nous la lirons comme un roman.
Lisa Fégné