Le Précis – En justice, les médias indépendants étouffés et essoufflés

Les médias indépendants spécialisés dans l’enquête et l’investigation sont régulièrement attaqués pour diffamation par les protagonistes de leurs articles. Ces procédures baillons, longues et couteuses, étouffent économiquement ces titres de presse, dans le but de les censurer.

Mediacités, Disclose, Mediapart… Les journaux et médias indépendants, résolument tournés vers l’investigation ont l’habitude de mener un combat pour la vérité. Mais en coulisses, une autre lutte se déroule sur le plan judiciaire. Pour des articles jugés trop incisifs par les intéressés, ces médias sont attaqués en justice, jusqu’à crouler sous les procédures. C’est le cas du média en ligne d’investigation locale Mediacités, qui affiche 15 procédures en seulement 6 ans d’existence. Notre journaliste Miren Garaicoechea a rencontré Jacques Trentesaux, son cofondateur et directeur de la rédaction. « Les élus sont vexés par des articles qu’ils jugent diffamatoires. Ils n’ont pas l’habitude d’articles de presse plus critiques », explique-t-il. Malgré la loi fondamentale de 1881, qui cimente le droit de la presse en France, les attaques se succèdent et peuvent aboutir. « Ce droit est de plus en plus contourné aujourd’hui », assure Virginie Marquet, avocate de Disclose, spécialisée en en droit des médias.

Les médias ciblés l’emportent certes régulièrement dans les prétoires, mais à quel prix ? La victoire n’est que symbolique, tant la durée d’une procédure en annihile la portée dans l’esprit du public. « Quand je vois un petit recommandé arriver au siège social de l’entreprise, je sais que c’est parti pour de longs mois », raconte Jacques Trentesaux. Au bout, pour les rédactions, il y a le prix de l’effort et le coût de l’indépendance. De quoi mettre en péril ces entités médiatiques. « Nous en sommes au-delà de 40 000 euros en dépenses cumulées pour les frais de justice, précise le cofondateur de Mediacités. Quand on fonctionne sur abonnements, qu’on n’est toujours pas à l’équilibre 6 ans après, toute dépense supplémentaire est gravissime. Donc même quand on gagne, on perd financièrement. » Ces procédures baillons sont alors synonymes de pressions. Virginie Marquet appelle à un sursaut des juridictions. « Lorsqu’une procédure pénale pour diffamation engagée est perdue, les juges doivent sanctionner sur le fondement de la procédure abusive. Des acteurs économiques, des élus multiplient les procédures pour étouffer les médias et les dissuader d’enquêter. » Donner des dommages et intérêts soutiendrait ainsi l’effort pour la vérité et reconnaîtrait les journalistes qui ont bien fait leur travail.

40 000

Mediacités a dépensé 40 000 euros en frais de justice, en l’espace de 6 ans.

15

Le média indépendant a remporté 4 procédures, 11 sont encore en cours.

Alexandre Camino