Le Précis – « Grimzi, un billet sans retour »

En novembre 1983, sur la ligne Bordeaux-Vintimille, le jeune algérien Habib Grimzi fut jeté de son train en marche. Plus qu’un simple fait-divers, ce meurtre a joué un rôle capital dans l’histoire des luttes antiracistes en France, en pleine Marche pour l’égalité et contre le racisme.

C’est l’illustration tragique d’un racisme devenu exacerbé en France. Le 14 novembre 1983, Habib Grimzi fut jeté d’un train en marche, sur la ligne Bordeaux-Vintimille. 40 ans après, Podcastine revient sur cette histoire souvent oubliée dans sa nouvelle série « Grimzi, un billet sans retour », en quatre épisodes. Pour le premier, nous retournons au début des années 1980, moment de bascule dans le monde politique français, tant la période est marquée par de fortes tensions sociales. En effet, le meurtre de ce jeune algérien de 26 ans vient s’ajouter à une longue liste de crimes, de discriminations ordinaires et quotidiennes, de tensions politiques, qui font de 1983 une année charnière dans l’histoire du pays. « Les années 1980 sont en quelque sorte une réaction aux années 1970. Et le mot “réaction” on peut l’entendre dans les deux sens de ce terme », explique Ludivine Bantigny, historienne, maîtresse de conférences à l’université de Rouen, notamment autrice de  la France à l’heure du monde, de 1981 à nos jours paru aux éditions du Seuil. Un véritable basculement a lieu à l’orée de l’année 1983, marquée par l’officialisation du “tournant de la rigueur” dans un contexte de forte récession, par une montée du Front National, et par l’apparition d’un nouveau discours vis-à-vis des personnes d’origines étrangères, en particulier autour de la figure – souvent fantasmée – de « l’Arabe ». « 1983 a été un moment très grave sur le plan de l’accentuation du racisme », assure Ludivine Bantigny.

Depuis dix ans, la France assiste à une vague de violences commises avec une certaine impunité envers les personnes considérées comme “nord-africaines” ou “arabes”, alors qu’une importante population algérienne vit et travaille en France, notamment dans l’industrie. « Le contexte de la guerre d’Algérie, le contexte post-colonial, peut aussi être un élément d’explication », selon Céline Regnard, historienne des migrations contemporaines et des villes portuaires et maîtresse de conférences à Aix-Marseille Université.

Le meurtre de Habib Grimzi, dans la nuit 14 au 15 novembre, d’une violence glaçante, va cristalliser un grand nombre de ces tensions. Mais qui était ce jeune homme ? Ni militant, ni immigré, il était au mauvais endroit au mauvais moment, diraient certains. Ce dernier serait né en mai 1957 à Trafaoui, près d’Oran, en Algérie. Mesurant un bon mètre soixante, il est décrit comme quelqu’un de plutôt poli et discret. Fils d’ouvrier spécialisé, il appartenait à une grande fratrie. Après son service militaire, il devint agent de sécurité dans un dépôt de la Naftal, une firme de distribution de produits pétroliers. Il aimait le football et la science-fiction. Début novembre 1983, il partit pour quelques jours à Bordeaux, rejoindre une amie avec laquelle il imaginait peut-être un futur à deux. Mais le rêve fut de courte de durée, le jeune Habib devant prendre le chemin du retour. Voyageant avec son Walkman, peut-être pensait-il déjà à son retour à la maison. Il ne verra plus jamais ni Bordeaux, ni Oran.

Publié le 10 janvier 2024

Crédits photo : Jennifer Latuperisa-Andresen via Unsplash