« Les candidats de télé-réalité veulent construire leur petit empire »

En écho à notre épisode : « Télé-réalité, le douloureux jeu du silence »

Les candidats de télé-réalité construisent aujourd’hui leur célébrité en dehors des émissions, en fidélisant une communauté sur les réseaux sociaux. L’agent phare des candidats, Magali Berdah, s’est même récemment lancée dans l’interview politique.

 

Nous vous proposons, entre aujourd’hui et demain, un entretien en deux parties avec François Jost, professeur émérite à La Sorbonne Nouvelle et Directeur de la revue Télévision. Il est également l’auteur du livre « Télé-réalité » publié en 2009.

 

Podcastine : La candidate de l’émission « Les Marseillais » Maeva Ghennam a maintenant sa propre émission, « Dressing VIP by Maeva ». Carla Moreau, de la même émission, va devenir chroniqueuse de « Touche pas à mon poste ! » Est-ce que la télé-réalité est devenue un moyen comme un autre de se faire une place à la télévision ?

François Jost : Ce n’est pas complètement nouveau. Déjà à l’époque de Loft Story, certains candidats ont eu des émissions ensuite. Kenza, de la première saison, a fait de la radio (ndlr : Radio Orient puis France Bleu), Jean-Pascal de la Star Academy a joué dans des fictions… Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, c’est une vraie profession qui vit à la fois par les réseaux sociaux et par la télévision. C’est une profession du spectacle, on parle de « candidats » mais ils ne sont pas candidats comme ceux des jeux animés par Nagui, par exemple. Ils veulent construire leur petit empire, leur entreprise, et donc logiquement ils prennent des agents pour les aider à tirer le plus de bénéfices de ce statut.

Vous l’évoquez, les candidats vivent notamment grâce aux réseaux sociaux. Certains, comme Bastien Grimal, qui se fait appeler « Bastos », ont lancé leur chaîne YouTube. Il y a diffusé des vidéos prises en « off » sur les tournages. Les candidats sont-ils en train de s’émanciper des producteurs ?

C’est sûr que c’est une question qui ne s’est pas posée au début, tout simplement parce qu’il n’y avait pas les réseaux sociaux. Aujourd’hui, c’est difficile d’empêcher les images « piratées », mais ces candidats rencontreront toujours les chaînes de télévision sur leur route, quitte à être poursuivis en justice.

Certains candidats sont soupçonnés de planifier à l’avance des disputes, des histoires d’amour, pour obtenir un maximum de « séquences » et donc accroître leur notoriété en apparaissant beaucoup à l’écran. La télé-réalité dérive-t-elle vers la fiction ?

C’est une tendance qui a toujours existé, qui n’a fait que s’accentuer. Au début, la production donnait aux candidats des choses à faire, et puis il y avait une part de direct. Aujourd’hui tout est enregistré. D’une part, les producteurs racontent les histoires qu’ils ont choisies. Nabilla et son «Allô, t’es une fille, t’as pas de shampoing ? C’est comme si t’es une fille et t’as pas de cheveux », cela n’avait pas été choisi au hasard. Cela rentrait en 140 caractères, c’était parfait pour être repris sur les réseaux sociaux. Les sites de replay peuvent aussi mettre l’accent sur tel ou tel candidat, en rediffusant des extraits. De l’autre côté, les candidats font un récit intermédial, c’est-à-dire qu’il se constitue sur différents médias. Sur les réseaux sociaux, ils peuvent opposer un autre récit, raconter leur version. Il y a une sorte d’affrontement des récits.

En décembre, plusieurs candidates de télé-réalité ont été reçues avec leur agent, Magali Berdah, par la ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur de France, Marlène Schiappa. La ministre voulait leur « donner les clés » pour les aider à sensibiliser leurs communautés aux violences sexistes et sexuelles. Les influenceuses ont partagé des vidéos d’elles en train de s’amuser dans le bureau et cette légèreté a été vivement critiquée. Mais étant donné qu’elles sont, comme vous le disiez, des professionnelles du divertissement, leurs communautés les suivraient-elles sur un registre plus sérieux ?

Ce n’est pas impossible que les jeunes les suivent sur ce terrain. On peut observer cette évolution dans l’émission de Cyril Hanouna, au départ dédiée au divertissement et qui, aujourd’hui, vire à l’émission de débat politique. Donc je pense que par le biais des candidats de télé-réalité, certains jeunes peuvent s’intéresser à ces sujets.

Propos recueillis par Mathilde Loeuille

 

 

Crédit illustration : Montage à partir d’une photographie de Lisa Fotios/Pexels