« On pédale 40 minutes pour 6 euros »

 

Arthur Hay, secrétaire général du syndicat des coursiers à vélo, annonce une grève nationale le 5 décembre dans plusieurs métropoles. Il explique les raisons de la mobilisation. 

 

Les coursiers indépendants subissent une précarisation toujours plus violente de leur emploi cumulée à de lourdes pertes financières. De la même façon que librairies indépendantes, comme l’explique Claire Mayer dans son article « Comment trouver des livres près de chez vous sans passer par Amazon » publié sur Rue89 Bordeaux et l’épisode « Les libraires jouent leur survie en ligne » sur Podcastine. Arthur Hay détaille les entraves à l’exercice digne de son métier. 

Podcastine : Quelles pressions, angoisses au quotidien pèsent sur les livreuses et livreurs auto-entrepreneurs ? 

 

Arthur Hay : Même quand tout va bien, on ne sait pas combien on touchera à la fin de la journée. C’est un vrai stress parce pour la majorité des livreurs car cet emploi est à temps plein. A cela s’ajoute la peur de l’accident. Car les indemnités sont ridicules. Nous n’avons pas de couverture santé qui permette de faire face, financièrement, à des accidents graves. On se souvient d’Aziz Bajdi. A la suite d’une chute à vélo, son abdomen a été perforé mais l’assurance a expliqué que ses viscères n’étaient pas assurés.  Malgré la douleur, beaucoup de livreurs qui ont des accidents continuent de pédaler ou prennent un scooter. Mais là aussi, la plupart n’a pas la capacité de transport – soit le diplôme spécifique attestant de la capacité de livrer – et lorsqu’il y a collision et dégâts physiques, l’assurance refuse de régler des indemnités. Il y aussi l’insécurité matérielle. J’en vois tellement rouler avec des vélos complètement pourris ! Il y a quelques semaines, je travaillais le soir, j’avais une lumière supplémentaire que j’avais trouvée par terre. Je vois un livreur passer, qui n’en avait pas. Je suis allé le voir. Il a freiné en mettant son pied. Il n’avait donc ni freins ni lumières….Ces conditions dangereuses de travail sont aussi encouragées par la sous-location de comptes. 

« Souvent, les mineurs, sans papiers et personnes virées sous-louent des comptes et travaillent sans aucune protection »

 

Pourquoi accepter la sous-location de compte ?

 

A.H : Par nécessité. Souvent, ce sont les mineurs, sans papiers, personnes virées par les plateformes qui proposent une sous-location de compte car ils ont besoin de continuer à travailler. Même s’ils n’ont aucune protection. La pratique peut être légale dans le cas où, avec mon compte micro-entrepreneur; je recrute un autre micro-entrepreneur en lui faisant un contrat de prestation. Normalement, je devrais déclarer cette personne à la plateforme mais ce n’est pas obligatoire. Quant aux propriétaires des comptes – qui prennent au moins 25% sur les courses –, ils sous-louent vélos et scooters pour 200€/semaine. C’est pour cela que l’on peut croiser des livreurs, probablement sans argent, mais avec des scooters. C’est un réparateur de vélos dans le centre-ville de Bordeaux qui nous a informés du fait que beaucoup de livreurs – qui ne parlent pas forcément bien français – se présentent avec des vélos à réparer. Mais quand vient le moment du constat, il s’avère que le réparateur est mis en contact avec le véritable propriétaire du vélo et détenteur du compte. 

« À ce jour, aucun coursier n’a eu droit au chômage »

 

Emmanuel Macron avait annoncé une création de chômage pour les auto-entrepreneurs… 

 

A.H : Ça a été fait. Mais ce n’est le cas que lorsqu’il y a une liquidation judiciaire. C’est complètement inadapté à notre emploi. A ce jour, personne parmi les coursiers à vélo et à scooters au niveau national n’a eu droit au chômage. Car pour cela, il faut que les plateformes paient des cotisations. Ce n’est toujours pas le cas. Pour pallier les difficultés économiques en temps de Covid, un fond de solidarité pour les livreurs a été créé. C’est bien. Mais ça ne remplace pas la protection assurée par un chômage partiel. D’autant que nous n’avons pas le droit au RSA… Pour la CAF, il faut une rupture de contrat de travail et prouver que nous ne touchons plus aucun revenu. Ce qui inclut d’y retourner 3 mois plus tard en n’ayant plus de chiffre d’affaires. Sinon ils considèrent que c’est juste une perte d’un client. 

« Nous n’avons pas d’accès à des toilettes ou à des douches »

Vous appelez au rassemblement le 5 décembre. Pour quelles raisons ?

 

A.H : Ces derniers mois, chez Deliveroo, nous subissons des baisses tarifaires : c’est le recours exacerbé aux doubles commandes: On a deux commandes dans le même restaurant qui sont censées arriver en même temps mais, souvent, ce n’est pas le cas, ce qui nous fait perdre du temps et ce temps-là n’est pas rémunéré. Ensuite, on se déplace chez deux clients différents. Il nous faut attendre qu’ils descendent et ce temps-là n’est pas considéré financièrement. La deuxième commande n’est pas valorisée: elle est payée un euro. Nous pédalons quarante minutes pour six euros. D’autant que nous n’avons pas accès à des toilettes, douches, lieux où s’abriter et se restaurer. Les plateformes, en tant qu’employeurs, devraient mettre en place ce genre de dispositions. Le gouvernement veut faire passer des lois pour légiférer sur la protection des plateformes…alors que nous demandons des protections pour les coursiers ! Une grève nationale est donc prévue ce 5 décembre en début de soirée. A Bordeaux, le rassemblement se fera place de la Victoire à 18h30. Pendant le shift – c’est-à-dire les sessions de travail effectuées par une équipe – nous irons manifester et bloquer les restaurants. 

Lisa Fégné