Loi « sécurité globale », exception française?

 

La proposition de loi relative à la « sécurité globale » comporte des mesures sécuritaires fustigées par les défenseurs des libertés publiques. L’article 24 , en particulier, est très critiqué et comporte des dispositions rarement en vigueur dans des démocraties. 

 

Contestée autant par les citoyennes et citoyens que par les professionnels de l’information depuis le début de la semaine, la proposition de loi sur la « sécurité globale », a été rédigée par les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, par ailleurs ex-patron du Raid de 2013 à 2017. Son article 24, adopté hier, vendredi 20 novembre, est l’un de ceux qui font le plus polémique. Il vise officiellement à renforcer la protection des forces de l’ordre en sanctionnant « de 45 000€ d’amende et d’un an de prison » la diffusion de tout élément d’identification visuelle d’un agent de police ou de gendarmerie nationale, « dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique ». Mais comme le rappelle  Baptiste Giraud, dans son article « Interdiction de la diffusion d’images de policiers : un nouveau délit bâillon contre la liberté d’informer » sur le site de La Clé des Ondes et dans l’épisode « Sécurité globale : police partout, images nulle part ? » de Podcastine, cette proposition a surtout pour effet de restreindre la liberté d’informer en empêchant les journalistes de filmer les forces de l’ordre, y compris lorsqu’elles commettent des violences. 

« La Turquie a franchi le pas. »

 

Ce type de loi, c’est du déjà-vu pour Anthony Bellanger, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes. « Les pays où je me suis rendu récemment comme l’Irak, Israël, l’Egypte, les Philippines, le Pakistan… – et j’en passe! – les ont déjà mises en place. Nombreux sont les pays où l’on légifère sur la sécurité globale et sur la limitation de la liberté de la presse ». La Turquie, elle aussi, a franchi le pas. C’était le 11 octobre 2019, rappelle le rapport annuel des organisations partenaires de la plateforme du Conseil de l’Europe pour la sécurité des journalistes. Ce jour-là, en vertu de la loi antiterroriste du pays, « des procureurs turcs ont décrété une interdiction générale de diffuser des informations concernant l’action militaire turque dans le nord de la Syrie, menaçant de poursuites quiconque mettrait en danger la sécurité ou la paix sociale en Turquie par la diffusion de « toute information suggestive» dans une publication, une émission ou sur les réseaux sociaux ».

Scandale récent en Suisse

En Europe Occidentale, le droit de filmer dans l’espace public des agents des forces de l’ordre en exercice fait l’objet de régulières remises en question…. quand il n’est pas entravé. En Espagne, explique Pauline Adès-Mèvel, rédactrice en chef à Reporter Sans Frontières, la loi « sécurité citoyenne » rebaptisée par les citoyens « ley mordaza » (loi bâillon) est actée depuis 2015. Elle sanctionne toute personne qui filme des violences policières et qui diffuse les images sans autorisation d’une amende allant de 600€ à 30 000€. Même tarif pour une manifestation face au Sénat et au Congrès des députés. Le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez et ses alliés Unidas Podemos ont promis de révoquer cette loi.

D’autres pays proches de la France réfléchissent à la possibilité d’adopter eux aussi leur loi « sécurité globale”. Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer au programme Liberté de Amnesty International, se souvient qu’ “en Belgique et aux Pays-Bas, il y a déjà eu des débats pour permettre ce type de restrictions mais ça n’a pas abouti ». 

 

En Suisse, un scandale de violences policières secoue justement le pays en ce moment. Elles se sont déroulées la semaine dernière, à Lausanne. Les images, diffusées sur les réseaux sociaux, ont atteint près de 100 000 vues. « Dans ce pays, il est très clair que la police peut être filmée et ne doit pas s’y opposer » rappelle Anne-Sophie Simpere. Au moins deux responsables d’ institutions judiciaires suisses n’entendent pas « restreindre la possibilité de filmer des agents », indique le journaliste Yan Pauchard dans un article paru le 19 novembre sur le site « Le Temps ». Pour le moment, donc, et même si des débats ont lieu ailleurs, France et Espagne sont encore isolées sur le sujet en Europe occidentale. Pour combien de temps? Chez leurs voisins aussi, la tentation sécuritaire grandit…  

 

 

Lisa Fégné