En écho à notre épisode « Bordeaux au bord de l’asphyxie »
(Partie 2/2) Le changement climatique va avoir un impact sur la qualité de l’air. Certains polluants d’origine naturelle vont se multiplier, et nous ne pourrons rien y faire. Eric Villenave est chercheur au CNRS et professeur de chimie atmosphérique à l’université de Bordeaux.
Un rapport de 2018 d’AcclimaTerra, le comité scientifique régional sur le changement climatique, explique qu’il faut s’attendre à des augmentations de teneurs en aérosols et allergènes. Pourquoi ?
Le cycle du carbone, la photosynthèse, est perturbé par le changement climatique, donc les arbres poussent plus vite. Ils émettent du pollen de plus en plus tôt et de plus en plus longtemps. On se retrouve donc avec des bioaérosols, ou des allergènes comme le pollen. Par ailleurs, en été on voit parfois un brouillard au niveau de la cime des arbres. Ce sont des petites particules qui se forment à la suite de l’irradiation solaire sur les composés organiques volatils qui sont émis par les arbres. Ces aérosols-là on les regarde se former, mais on ne peut rien y faire. Le changement climatique va provoquer leur augmentation.
Quels sont leurs effets sur notre santé ?
Ces aérosols sont nanométriques, donc extrêmement petits, un milliardième de mètre. Ils peuvent pénétrer très profondément dans les voies respiratoires, en passant les alvéoles pulmonaires, rentrer dans le sang, les cellules. Ils ont un double impact. En tant que corps étranger, les aérosols nous irritent. Ensuite, certaines molécules qui composent les aérosols sont toxiques, il y a donc un effet sur la santé.
Y a-t-il beaucoup de données sur l’impact du changement climatique sur la qualité de l’air ?
Jusqu’à maintenant, l’impact de la pollution sur le changement climatique a beaucoup été étudié, mais pas l’inverse. Aujourd’hui, les chercheurs essaient d’évaluer le fait qu’à l’avenir, il va y avoir de plus en plus de particules ultrafines. Or, elles servent de noyau de condensation pour former des nuages. Des études de 2019 montrent qu’au niveau de la région Nouvelle-Aquitaine, les composés organiques volatils vont se multiplier, créant davantage d’aérosols, qui vont eux-mêmes entraîner la création d’un plus grand nombre de nuages. Cela veut donc dire davantage de précipitations.
Dans une vidéo publiée par l’université de Bordeaux, vous illustrez les relations complexes entre changement climatique et qualité de l’air par l’exemple de la ville de Londres. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé dans la capitale du Royaume-Uni ?
Londres était autrefois une ville très brumeuse. Aujourd’hui le ciel y est bleu, et c’est essentiellement dû à la désulfuration. La réglementation a exigé qu’on enlève du soufre dans le charbon, l’essence… Le retrait de ce composé toxique a été bénéfique pour la santé, mais cela a aussi eu un effet sur les nuages. Le soufre contribuait à créer les nuages, ce « smog » au-dessus de la ville de Londres. Aujourd’hui les rayons du soleil passent beaucoup plus. Cela a créé des îlots de chaleur et la hausse des températures a été plus rapide à Londres que dans d’autres villes. Finalement, en réglant un problème sanitaire, on amplifie un problème climatique. On se rend compte de la difficulté pour les acteurs publics de prendre des décisions. Parfois, favoriser la santé et le climat ne va pas de pair.
Pouvez-vous citer d’autres exemples ?
On retrouve le même problème avec la qualité de l’air à l’intérieur des locaux. Plus ils sont énergétiquement propres, moins il y a de déperditions de chaleur, mieux c’est pour le climat. Mais les bâtiments sont alors trop étanches, ils retiennent toutes les molécules, et la qualité de l’air est donc moins bonne.
Le troisième exemple que je peux donner, c’est les feux de bois à la maison. C’est un bon mode de chauffage du point de vue du développement durable, cela évite d’utiliser des chaudières au fioul, ou électriques, etc. Mais si le système n’est pas complètement adapté avec des foyers fermés – qui sont très chers – il y a une pollution par les particules fines. Le bois de chauffage est la première source des épisodes de pollution à Bordeaux en hiver.
Propos recueillis par Mathilde Loeuille
Crédit illustration : Kazuend/Unsplash