Présidentielle 2022, la voix des assos – Alerte pesticides Haute-Gironde

Tous les vendredis jusqu’à l’élection présidentielle, Podcastine donne la parole à une association de la région pour qu’elle présente ses activités et ses attentes vis-à-vis du prochain mandat. Henri Plandé est président de l’association Alerte pesticides Haute-Gironde.

 

Podcastine : Pouvez-vous nous expliquer dans quel contexte a été créée l’association ?

Henri Plandé : Elle a été créée après l’épandage de pesticides autour de l’école de Villeneuve, en 2014 (ndlr: deux viticulteurs ont épandu toute la matinée, 23 élèves et leur institutrice ont été victimes de malaises, pertes d’équilibre, irritations oculaires, nausées… L’institutrice a été transportée aux Urgences). J’étais alors conseiller pédagogique auprès de l’inspecteur départemental de Blaye, qui m’a demandé de me rendre rapidement sur les lieux. J’ai vu se mettre en place une omerta locale incroyable.

La maire du village – je ne savais pas encore que c’est elle qui épandait près de l’école – m’a dit que ce n’était pas très grave, qu’il n’y avait pas de produits dangereux. Les pompiers ne voulaient pas parler de pesticides dans leur rapport, en disant que le lien n’était pas prouvé. Une semaine après, j’ai assisté à une réunion à la sous-préfecture de Blaye où le même mécanisme se mettait en place. J’ai donc organisé une réunion d’informations avec plusieurs associations, des parents d’élèves, la confédération paysanne, etc.

L’affaire a fini par avoir un retentissement national, mais nous avons constaté que la quantité de pesticides épandus ne baissait pas. Nous nous sommes donc constitués en collectif puis en association. Parmi nos temps forts, je peux citer les états généraux des riverains en février 2020. Nous comptons une soixantaine de bénévoles.

 

Le 1er février, le tribunal administratif de Paris a demandé au gouvernement d’arrêter une partie des activités de la cellule « Demeter » en charge du suivi des atteintes au monde agricole. Plus précisément, elle doit stopper ses missions de prévention et de suivi des actions idéologiques.* Votre association a-t-elle eu affaire à la cellule Demeter depuis son lancement fin 2019 ?

Oui, en octobre 2019 j’ai reçu un coup de fil de la gendarmerie, qui était au courant que notre association organisait une réunion d’information. Les gendarmes m’ont demandé qui serait présent, et ce qu’on allait se dire. J’ai reçu le même type d’appel en novembre et décembre. Mi-décembre, nous avons appris par la préfète la mise en place de la cellule Demeter. Visiblement leur travail avait déjà commencé, peut-être qu’ils voulaient des résultats tout de suite. En janvier, deux gendarmes sont venus à mon domicile pour me poser des questions sur les états généraux organisés par l’association. Ils sont restés une bonne heure et je n’ai plus eu de nouvelles par la suite.

Je trouve très inquiétante la tournure que prennent les événements pour les militants écologistes. Le tribunal demande à la cellule Demeter d’arrêter de surveiller des associations comme la nôtre, mais les autres activités vont continuer. Je trouve assez inquiétant que la puissante fédération nationale des agriculteurs (ndlr : la FSDEA) soit aujourd’hui en capacité de signer un contrat mettant à sa disposition des forces publiques pour défendre sa façon de faire.

 

Santé publique France et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) réalisent depuis octobre dernier l’étude « PestiRiv », qui porte sur l’exposition aux pesticides des personnes qui habitent près des vignes. Pensez-vous que cette étude peut faire bouger les choses ?

La mise en œuvre de cette enquête, c’est très bien, on applaudit des deux bras. En revanche, ceux qui ne peuvent pas applaudir ce sont les bébés sans bras. L’enquête sur le lien entre leurs malformations et l’exposition à des produits nocifs est tombée à l’eau. Par ailleurs, les résultats de l’enquête Geocap, sur les cancers pédiatriques, devaient être révélés en 2020. On attend toujours. Avec PestiRiv, il va falloir être vigilants, vérifier que les résultats seront publiés. Cela va dépendre de la volonté politique des gens qui seront au gouvernement, de leur capacité à résister aux lobbies.

 

Qu’attendez-vous du prochain mandat présidentiel ?

Dans l’idéal, je voudrais que l’on puisse dissoudre notre association, cela voudrait dire que l’on n’aurait plus besoin d’être là !

D’abord, nous voulons une loi similaire à celle de Californie, qui oblige les agriculteurs à donner les noms des produits épandus sur leurs parcelles. Et ce serait encore plus simple que ces produits ne soient plus commercialisés. Il faut savoir qu’un pulvérisateur très bien réglé met au mieux 75% du produit sur les feuilles. Cela veut dire que tout le reste part dans l’air, dans le sol, finit dans les eaux. Ces perturbateurs endocriniens peuvent se répandre sur plusieurs centaines de kilomètres, à Bordeaux on retrouve des perturbateurs issus des épandages dans le Médoc et même en Charente.

Il faut également que la liste de tous les produits utilisés soit détaillée, car aujourd’hui quand un produit est commercialisé, la firme déclare une seule substance active. Or, il y en a d’autres dans le produit. Dans le Roundup par exemple, le glyphosate n’est même pas le composant le plus dangereux. Puisque tout n’est pas déclaré, c’est très difficile ensuite pour les toxicologues de comprendre comment un organisme a été intoxiqué.

Lorsque j’étais dans l’Éducation nationale, j’ai vu à la fin des années 2010 une vague d’enfants avec des troubles lourds, et c’est un problème qui est constaté dans toutes les campagnes de Gironde. Or, une étude californienne a montré le lien entre l’exposition à certains produits phytosanitaires et le nombre d’enfants autistes. Il faut que la France se penche sur le sujet.

 

Si les produits phytosanitaires ne sont plus mis en vente, cela voudrait dire que tous les viticulteurs devraient se convertir au bio, non ? Ce ne serait pas un tournant facile à prendre, cela demande du temps.

Ici il y a une légende qui dit que jadis, il y avait de la vigne partout. C’est faux, il y avait aussi des cultures céréalières. Peut-être qu’aujourd’hui il faudrait arrêter de faire de la monoculture partout, d’avoir de grandes surfaces de vigne qui ont besoin de beaucoup de pesticides. Ce n’est pas possible d’empoisonner les gens pour un produit de luxe. Évidemment ce ne serait pas un changement facile, c’est sûr qu’ils gagneraient moins en étant maraîchers. Certains viticulteurs ici roulent en Maserati, ce sont des seigneurs sur leurs terres.

Propos recueillis par Mathilde Loeuille

* Les ministres de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et de l’Agriculture, Julien Denormandie, ont fait appel de cette décision fin février.

Crédit photo : Henri Plandé