EN ÉCHO À NOTRE ÉPISODE DU VENDREDI 2 JUILLET: “Quand les femmes entrent en résilience – épisode 2”

L’agence Solenciel, qui propose des prestations de nettoyage réalisées par d’anciennes victimes de réseau de prostitution depuis 2017 à Grenoble, s’installe à Toulouse. Pauline Loriot, la directrice de l’antenne de Grenoble, précise la spécificité de leur mode de management.

Podcastine : Comment est né le projet Solenciel ?

Pauline : C’est l’association grenobloise Magdalena, rassemblant des bénévoles pour venir en aide à des personnes vivant de la rue ou à la rue, qui est à l’origine du projet. Contrairement aux travailleurs sociaux qui proposent des cafés, les bénévoles de Magdalena proposaient seulement des visites, de passer un moment avec des femmes victimes des réseaux de prostitution. Un jour, l’une d’entre elles a lâché e à Rodolphe Baron, fondateur de Solenciel et bénévole de Magdalena : « Pourquoi tu viens nous voir? Tu sers à rien ! » Rodolphe leur a donc demandé de quelle manière il pouvait les aider et de quoi elles avaient besoin. Ce à quoi elles ont répondu : « Nous, on veut avoir un vrai travail » En discutant avec elles sur quelles activités professionnelles elles aimeraient exercer, le ménage s’est vite imposé. La majorité des jeunes femmes sont nigérianes et maîtrisent mieux l’anglais que le français. Aussi, en tant que demandeuses d’asile, elles ne peuvent pas travailler, du moins il faut respecter des critères trop étroits pour qu’elles puissent vivre de leur activité. Nous avons donc contacté une antenne du ministère du Travail et nous avons obtenu une autorisation spécifique : le but de l’association étant de les émanciper des réseaux de traite a permis de l’obtenir. Et le projet s’est lancé en 2017 !

Solenciel est donc une entreprise associative ?

Solenciel est une association qui fonctionne comme une entreprise, à ceci près que les bénéfices sont distribués aux salariés ou injectés dans la création d’antennes nouvelles comme à Annecy ou Toulouse. Nous nous sommes rapidement développés. En 2017, nous comptions sept salariées à Grenoble. A ce jour, nous en comptons vingt-cinq à Grenoble, six à Lyon, quatre à Montpellier, une à Annecy et une autre à Toulouse. Contrairement aux idées reçues, nous ne sommes pas financés par le contribuable, nous ne bénéficions pas de subventions. Pour l’heure, nous sommes financés grâce à des fondations privées. Dans l’idéal, dès que quelques agences auront trouvé leurs points d’équilibre financier, elles pourront financer les autres et nous serons autonomes. Ne pas utiliser l’argent public est une fierté pour les filles.

Quels sont les profils retenus pour intégrer votre association ?

Une des conditions non-négociable pour intégrer Solenciel est d’arrêter ses activités de prostitution. Pour cela, avant de faire partie des équipes de Solenciel, nous invitons les jeunes femmes intéressées à vivre dans des familles d’accueil grâce auxquelles elles pourront retrouver une stabilité quotidienne. En général, elles y restent six mois avant de créer des colocations entre elles. Ensuite, certaines décident de prendre un logement seules. Il n’y a pas un parcours type, chacune fait le choix de ce qu’il lui semble être le meilleur pour elle. Jusqu’ici nous avons recruté essentiellement des jeunes femmes nigérianes âgées de 25 à 35 ans. Souvent, elles sont établies en Europe depuis quelques années et sont déjà victimes de réseau de prostitution. Quand ce n’est pas la famille qui en est complice, elles sont abusées par des passeurs qui leur vendent le rêve européen. Mais à la place de l’idylle imaginée, elles sont soumises à la prostitution car leurs dettes envers les passeurs sont faramineuses. Pour régler les plus de 50 000€, elles paient de leur chair.

Le mode de management est particulier au sein de votre agence de nettoyage…

Oui ! Nous utilisons la méthode de management Opale qui repose sur trois piliers : la raison d’être, c’est à dire quitter la rue dans notre cas ; l’auto-gouvernance qui permet de faire ses propres choix concernant ses horaires et ses clients ; et enfin la plénitude qui consiste à être pleinement soi au travail et à tendre vers le bonheur en réalisant son activité professionnelle. Ce mode de management permet une véritable unité et solidarité entre les salariées. Solenciel leur appartient car nous fonctionnons en hiérarchie horizontale : chacune est en gestion d’une tâche particulière relative au fonctionnement de l’entreprise. L’une gère les congés payés, une autre les conflits au sein de l’agence etc. Chacune a son rôle et si l’une d’entre elles en éprouve le désir, les tâches peuvent être attribuées à d’autres filles tant qu’elles sont mises d’accord.

Pour ces jeunes femmes, Solenciel n’est pas seulement un travail de nettoyage ?

En effet. Pour les filles, et c’est d’ailleurs notre but, Solenciel est un sas de décompression. Pour le moment, nous constatons que les filles restent en moyenne dix-huit mois, le temps de se faire une santé autant sur les plans financiers, administratifs que psychologiques. Après avoir obtenu leurs papiers de résidence en France, beaucoup font des formations dans différents domaines. Récemment une jeune femme est partie en formation de pâtisserie. Pour d’autres, ça sera l’aide à la personne, la petite enfance ou encore l’esthétique. Grâce à nos clients, elles reprennent confiance en la société : ils font preuve d’une volonté certaine de les aider et d’une réelle bienveillance à leur égard. A Noël, chacune a son panier garni ! Du fait de leurs parcours, il ne faut pas nier le fait qu’elles soient polytraumatisées. C’est pourquoi nous avons fait le choix de ne travailler qu’avec des professionnels et pas des particuliers : pour ne pas les mettre en danger.

Crédit photo : Solenciel 

                                                                                                                             Lisa Fégné