A Bonnefoy, la mixité sociale revendiquée

 

Alors que le projet urbanistique Grand-Matabiau – quais d’Oc se poursuit à Toulouse, les habitants et employés du ce quartier populaire et cosmopolite témoignent de leur attachement à la diversité et à la solidarité.

La sonnerie de la cour d’école marque la fin de la journée de classe. Avec entrain, tous les enfants s’en évadent et se retrouvent au parc, en face de la médiathèque Bonnefoy, sous les yeux bienveillants des parents. Ils sont Chiliens, d’origine pakistanaise ou encore Roumains. Elles sont Salvadoriennes, Françaises ou Colombiennes. « C’est génial de vivre dans un quartier où il y a autant de diversité culturelles et sociales ! » s’enthousiasme un jeune père de famille, dont les enfants ont respectivement 6 et 3 ans. « Avec certains de ses camarades originaires d’Amérique latine et centrale, il apprend l’espagnol. Il va devenir bilingue en allant à l’école mais sans avoir de cours ! » ironise-t-il, de la fierté dans la voix. De la même façon, Clara, jeune fille d’origine roumaine apprend tout autant le français que l’arabe, avec son amie Salia. Du moins elle essaie car, comme elle l’explique : « ce n’est pas toujours facile parce que les sons sont très très différents ».
Outre l’aspect culturel et linguistique, le quartier Bonnefoy est réputé pour son vivre-ensemble : il héberge toutes les catégories sociales. Qu’ils soient cadres, ouvriers, artistes ou sans-abris, ici tout le monde se connaît. A l’image de ce que raconte ce septuagénaire qui vit dans le quartier depuis près de quarante années consécutives : « ici, il y a des pauvres, des riches, des étrangers, des Toulousains et c’est très bien comme ça ! Qu’ils n’aillent pas nous faire payer plus cher les loyers et déplacer ces gens, qui ont peu de moyens, mais qui se sentent bien ici. »

Le projet Grand-Matabiau – quais d’Oc n’inspire « pas confiance »

L’allusion fait écho au plan d’urbanisme Grand Matabiau – quais d’Oc (ex-TESO) mis en place depuis 2017 et qui consiste à rénover les quartiers limitrophes de la gare Matabiau, en cœur de centre-ville. Le projet prévoit de métamorphoser 135 hectares ; les quartiers de Matabiau-Bayard, Jolimont, Périole ou encore Bonnefoy sont concernés. Alors que la Métropole voit en ses projets de réaménagement l’assurance de « l’accès de tous au nouveau centre-ville […] de manière à garantir la mixité sociale » – selon un communiqué publié quatre années plus tôt sur le site internet TESO – , des résidents du quartier font part de leurs inquiétudes.
Étudiante à l’Université Jean Jaurès en anthropologie et habitante de Bonnefoy depuis presque cinq ans, Lucille s’indigne : « C’est toujours aux pauvres de se déplacer du centre-ville ! Ce quartier a la chance d’être habité par tous, sans qu’il n’y ait le moindre conflit. De la part d’une mairie qui n’a toujours pas enclenché les projets urbains environnementaux nécessaires à Toulouse et qui s’est empressé de bloquer tous les projets culturels alternatifs il y a cinq ans, je n’ai pas confiance en la préservation d’une mixité sociale ici » à l’issue des travaux. Cette inaction sur les plans sociaux et urbanistiques de la part des élus, ressentie par la population, fait écho au sentiment d’abandon des habitants du quartier des Aubiers, à Bordeaux. L’épisode de Podcastine intitulé « Aux Aubiers,  »une mairie bis » en guise de pansement » et l’article de Yoan Denéchau, paru sur Aqui.fr, « Bordeaux : la Mairie s’installe aux Aubiers » en font le récit.

Quartier-refuge

A l’idée du remaniement urbanistique, l’inquiétude gagne aussi les employées de la bibliothèque Bonnefoy. Si l’établissement est destiné aux enfants, il a accueilli à de nombreuses reprises des personnes sans-abris. A deux années de la retraite, une bibliothécaire s’affole à l’idée d’une gentrification à marche forcée du quartier : « ça fait trente ans que je travaille ici. Trente ans ! Et je n’ai jamais vu autant de monde dans la difficulté. La bibliothèque peut les accueillir : nous avons internet, un point d’eau, du chauffage ou la climatisation selon la saison. Nous l’avons déjà fait. On ne peut pas toujours exclure ces personnes toujours plus loin »
Ses collègues acquiescent : « Ici, c’est un quartier-refuge » lance l’une d’elle avec solennité. « Et il va bien falloir que ça le reste ».

Pour l’heure, le projet Grand-Matabiau – quais d’Oc s’accélère dans la métropole toulousaine : depuis près de deux semaines, des opérations de démolition d’immeubles ont été entamées avenue de Lyon, non loin de la gare. L’été dernier, en août 2020, un recours avait été déposé par l’association Les Amis de la Terre. Même si les riverains s’opposent au projet, la Ville fait peau neuve…

 

Lisa Fégné