EN ECHO A NOTRE EPISODE DU MARDI 22 JUIN : « Les femmes de Nouvelle-Aquitaine se font mousser »

Contrairement aux idées reçues, la bière n’est pas l’apanage des hommes. Les femmes entretiennent depuis des millénaires des liens étroits avec la boisson.

Les premiers brasseurs étaient…des brasseuses ! La bière n’a jamais été exclusivement une affaire d’hommes. Dans l’imaginaire collectif, la boisson alcoolisée est, de façon inévitable, associée à la virilité : elle a longtemps été considérée comme la boisson favorite des Vikings et des « barbares ». Pourtant, comme le souligne dans le magazine Madame Figaro Elisabeth Pierre, zythologue – connaisseuse de la bière et de sa dégustation – et experte en culture et histoire de la bière, « la fabrication de la bière a toujours été une affaire de femmes puisque ce sont elles qui fabriquaient le pain et cuisinaient les céréales ». La naissance de la boisson est liée de manière intrinsèque à l’évolution de la culture des céréales, actes de fabrication du pain et de conservation des céréales. Deux tâches domestiques qui incombaient aux femmes. Pour la journaliste et chroniqueuse belge Cindya Izzarelli, autrice de l’ouvrage « Ces femmes qui ont révolutionné la cuisine », on en retrouve les premières traces à l’époque du Natoufien – l’Épipaléolithique – soit en – 14 500 avant notre ère. Elisabeth Pierre ne partage pas cette estimation : selon elle, les premières apparitions de la boisson au houblon dateraient de – 9 000 ans avant notre ère. Qu’il s’agisse de la première date ou de la seconde, à cette époque, la bière aurait plutôt eu l’allure « d’une bouillie de céréales fermentées ». La zythologue précise :

« On imagine que le grain entreposé devenu humide sous la pluie, une fois germé, séché au soleil, broyé est devenu une soupe fermentée. D’ailleurs, dans le passé, on appelait la bière « le pain liquide » »

 

Tâche domestique

La boisson devient rapidement, quelques soient les cultures, un objet sacré de consommation liée aux individus féminins. Dans toutes les civilisations, « que ce soit en Egypte, en Mésopotamie, en Scandinavie, chez les Celtes ou les Incas, la bière était un symbole féminin de fécondité, de moisson, la renaissance de la nature, à l’image du grain de céréale qui se transforme en boisson » atteste Elisabeth Pierre. Il faut dire qu’elle est issue de la terre, des céréales, de l’eau et des saisons.
Certaines civilisations considèrent que cet alcool qui altère les sens permet de communiquer avec les dieux et les déesses. Surtout avec des déesses, d’après les recherches de Cindya Izzarelli. Elle explique : « la bière est liée à des entités sacrées féminines comme Siduri – une divinité tavernière et brasseuse de l’Épopée de Gilgamesh associée à la fermentation – ou Ninkasi – littéralement « celle qui remplit la bouche », la déesse de la bière chez les Mésopotamiens.
D’autres traces des premières fabricantes de bière ont été retrouvées dans le code Hammurabi, qui date – 1 750 avant notre ère. Le texte juridique babylonien stipule des professions indiquées au masculin… à l’exception du métier de brasseuse qui est décliné au féminin. « Ce qui prouve bien que ce sont les femmes qui continuent à fabriquer et distribuer la bière » signale l’auteure de « Ces femmes qui ont révolutionné la cuisine ».
Jusqu’au XII° siècle, la bière se perdait vite car elle n’était pas houblonnée. La boisson est révolutionnée grâce à Hildegarde de Bingen, nonne bénédictine allemande qui propose d’ajouter du houblon dans la mixture de céréales.

 

Nouvelle économie

Il faut attendre le XIV° siècle pour que les femmes soient invisibilisées et écartées de la fabrication et la vente de la bière. Avec la peste noire, toute l’Europe est à reconstruire et une nouvelle économie voit le jour. C’est ainsi que les corporations – c’est à dire la professionnalisation des corps de métier – apparaissent. Des corporation auxquelles les femmes n’ont que très peu voire pas accès. De fait, le travail de la bière devient exclusif aux hommes. Une ostracisation n’arrivant pas seule, les mœurs se durcissent. Diabolisées et perçues comme des tricheuses, les brasseuses domestiques d’hier – surnommées Alewives en Angleterre – deviennent très vite des sorcières dangereuses. « On les accuse d’être des tricheuses, de couper leur bière à l’eau, d’enivrer leurs clients et de mener une vie de catin » illustre la chroniqueuse culinaire belge. Dès lors, le métier de brasseuse « c’est finit ». Les femmes perdent la main sur la fabrication et sur la distribution de la bière pendant près de cinq siècles. Aujourd’hui, les brasseuses sont de retour comme le raconte Louise Saubade dans son sujet « Des femmes et des fûts » paru sur Revue Far Ouest et dans l’épisode de Podcastine « Les femmes de Nouvelle-Aquitaine se font mousser ».

Pour la journée mondiale de la bière à venir, le 6 août prochain, souvenons-nous que brasser de la bière est avant tout une activité quotidienne effectuée par les femmes.

 

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                                                                                                                                 Lisa Fégné